Chtetlet.

-Alors là, mon grand, tu me sous-estimes...

A vue d’œil, la situation s'était très dramatiquement détériorée pour les habitants de Banaro, qui venaient de perdre le soutien de Callie et dont le dernier des deux protecteurs, Chtetlet, était désormais dans une position relativement précaire, d'ailleurs relevée par l'homme-poisson qui l'assaillait tandis que les dents de celui-ci repoussait tout simplement. Le criminel avait en effet réussi à se placer sur le chasseur, bloquant la quasi totalité du corps dudit chasseur, bras et tête mis-à-part... Et Krake ne manqua d'ailleurs pas l'occasion pour tenter de placer sa propre main sur le bras du protecteur de Banaro qui, fort heureusement, avait encore et toujours les idées claires, ainsi qu’une réactivité et une adresse hors du commun : il attrapa tout simplement la main qui essayait de le plaquer au sol et engagea un simple jeu de force pour maintenir la main de son opposant à distance. L'homme-poisson allait probablement être étonné dans ce coude-à-coude pour le moins physique, car il allait très rapidement se rendre compte que les premiers échanges en faveur du citoyen n'étaient pas dû au hasard : il possédait en effet une force brute extraordinaire, et il parvint sans trop de difficultés à tenir le bras de son ennemi à distance, afin de l'empêcher de profiter davantage encore de la position de faiblesse dans laquelle se trouvait l'artiste martial. Lorsque son adversaire, justement, tenta de recourir à l'aide de son collègue qui avait d'ores et déjà vaincu Callie quelques mètres plus loin, Chtet' fit rapidement le point en son for intérieur. Si les deux se jetaient sur lui simultanément, il risquait effectivement d'avoir du mal à tenir le coup... C'était même chose impossible, en réalité. Cela étant, si le sabreur refusait d'aider son collègue et que l'amphibien était le seul à être géré, alors le conflit pouvait encore s'améliorer. C'était avec cette simple conviction et ce fait tout bête que le défenseur des opprimés prit une décision pratiquement suicidaire, mais clairement audacieuse... Celle d'omettre totalement de son esprit les possibles agissements de l'épéiste. Et en se focalisant uniquement sur la créature aqueuse qui lui faisait face, il sut faire des miracles.

En effet, lorsque le carnivore tenta de réitérer son action, le citoyen entreprit de recouvrir son visage et son cou de haki de l'armement, comme précédemment. Mais plutôt que de cogner frontalement et bêtement, imaginant que son homologue pourrait de toute manière continuer à faire repousser ses dents, il utilisa un atout qu'il s'était volontairement donné un instant plus tôt : la lutte entre leurs deux mains. D'un geste vif et inattendu, l'homme balança effectivement sa main sur l'extérieur, dans l'objectif de faire glisser Krake et de le priver de l'un de ses appuis. Chose toute bête, au final, Chtetlet voulait rendre la chute de celui-ci à demie-imprévisible... Pour ensuite catapulter son propre crâne dans un mouvement circulaire. L'objectif, cette fois, était de cogner l'homme-poisson sur le côté gauche du visage plutôt que de face. Les dents de l'amphibien ne seraient ainsi pas les seules à souffrir, et il pourrait probablement lui infliger une étourderie certes temporaire, mais relativement gênante pour la suite du combat !

John et Remy.

-L'idée n'est pas bête, la miss.

Alors qu'un groupuscule apparemment affilié aux Shadow Ghost était arrivé depuis la mer, les deux jeunes gens, quant à eux, venaient d'arriver depuis la ville : Remy avait pris la parole suite aux dires de l'épéiste qui avait terrassé Callie, attirant inéluctablement l'attention sur lui sans pour autant montrer des attentions hostiles. Les mains dans les poches, il était toutefois légèrement en retrait par rapport à John qui, de son côté, faisait craquer les jointures de ses mains comme pour se préparer au pire scénario possible. Les deux jeunes gens ne semblaient guère faire cas de la rixe qui se déroulait entre Chtetlet et Krake un peu plus loin, comme si l'issue elle-même de ce combat ne les intéressait pas... Et quelque part c'était le cas : que l'un ou que l'autre crève, ils s'en foutaient pas mal. La seule chose dont ils se préoccupaient actuellement, c'était de leur avenir. L'île passait après, même si l'un n'allait probablement pas sans l'autre.

-On va la jouer courte, parce que je ne vous sens pas d'humeur à converser. Si le traitement des citoyens s'améliorer, personnellement, on s'en tamponne pas mal de savoir que Tao reste au pouvoir. On est même prêts à l'aider à tenir le gouv' à distance. Belle offre, non ?

Chtetlet.

La situation était relativement désespérée pour le chasseur, qui tentait de profiter de la situation pour mettre son ennemi hors d'état de nuire. Le but était de se doter d'un certain effet de surprise, cumulé au sentiment grisant de fierté que l'homme-poisson devait ressentir suite à son petit tour de force, et à leur rixe qui s'était terminée en faveur de l'envahisseur... En agissant de la sorte, Chtetlet démontrait qu'il avait un certain intellect en plus de ses muscles saillants. Malheureusement, tout intelligent et vif d'esprit qu'il pouvait être, il ne pouvait pas forcément vaincre tous les ennemis qui se dressaient sur son chemin ! Ainsi, quand il sentit que l'amphibien remuait, probablement pour lui porter une attaque décisive en même temps que le coup de boule, le citoyen se mit à serrer les dents, prêt à encaisser la blessure qu'on lui infligerait sans broncher. Il devait se montrer inébranlable, maintenant que Callie avait été mise à terre... Et ce même s'il avait à souffrir de cuisantes cicatrices, qui risquaient même de mettre un terme prématuré à sa trop courte carrière de protecteur de Banaro. Pourtant, la petite lutte vint trouver une issue toute trouvée, mais elle ne fut ni apportée par le coup de boule du chasseur, ni par la main vengeresse de Krake : c'est un coup de pied, expédié par John, qui vint les forcer à se séparer de la manière forte.

John et Remy.

Lorsque Remy avait remarqué que le petit combat entre les deux costauds dégénérait, et que l'un d'entre eux risquait très fort de trouver la mort d'un moment à l'autre, il avait effectivement fait un prompt signe de la tête à son frère qui avait immédiatement compris le signal. La mort de Chtetlet risquait de peiner les habitants, de rendre Banaro plus démunie et de pousser le peuple tout entier à commettre une bêtise par instinct protecteur. La mort de Krake risquait de rendre les membres de Shadow Ghost fous de rage, et d'entraîner une répression encore plus sauvage, menant hypothétiquement à une guerre civile qui ne ferait qu'entraîner davantage de morts encore. La seule issue satisfaisante était donc encore celle qui consistait à les séparer de la manière forte : le garnement avait donc pris la décision de leur fournir un coup de pied vif et solide qui, considérant la carrure et la résistance des deux gaillards, ne les blesserait pas davantage mais suffirait tout simplement à les séparer une bonne fois pour toutes. Par preuve de bonne foi, John leva ensuite les mains à hauteur de sa poitrine, comme pour indiquer aux autres envahisseurs qu'il ne comptait pas réitérer son geste, mais qu'il espérait simplement trouver là un moyen de mettre tout le monde d'accord. De son côté, l'autre frangin avait eu à assister à un échange tendu entre deux groupes, nés d'une seule et même entité : Rei, la seconde de Ren, se révoltait apparemment contre la décision des autres et demandait un traitement plus juste. Après un instant de flottement, le représentant du peuple de Banaro se racla la gorge et prit la parole à l'attention d'Ayabusa, le regard franc et direct :

-Compte tenu des ambitions contradictoires que vous nourrissez tous et de votre manque de coordination, je ne vois pas trop pourquoi on accéderait à cette requête assez stupide, d'ailleurs... C'est justement parce que les taxes sont passées à plus de 50% que la population était prête à se révolter. Et comme vous l'avez tous judicieusement remarqué, si vous tuez tout le monde, vous ne serez pas payés du tout. Le plus judicieux pour tout le monde, se serait d'abaisser la somme à quelque chose de plus raisonnable... Supprimer totalement la taxe nous conviendrait aussi, évidemment.

Même s'il n'annonçait pas forcément de chiffre de but en blanc, Remy avait bel et bien un objectif : il avait compris, de part les dissensions dont souffrait Shadow Ghost, qu'il avait un moyen de briser la conviction des criminels et de marchander avec eux. Il s'était donc méthodiquement engagé dans cette voie, considérant d'ailleurs que la menace qu'ils avaient fait à propos de génocider la population n'était pas à craindre. Ou alors, ces gars étaient encore plus stupides qu'il ne l'imaginait...

John et Remy.

-Des menaces... Oula, minute, papillon, je crois que tu te méprends. On s'en branle, des citoyens de Banaro. On s'est jamais vraiment mêlé au reste des habitants, on les connaît pratiquement pas. Tu peux bien les tuer si tu veux... Ce qu'on cherche, c'est juste un endroit où subsister tranquillement. Si ça ne peut pas se faire ici, ça se fera ailleurs.

Remy avait promptement répondu aux menaces placées par Ayabusa via Escargophone interposé. Des assassins étaient présents dans le village, et alors ? S'il avait voulu militer pour le salut des faibles âmes, le frère de John aurait probablement préféré s'engager dans la marine, dans les Cipher Pol ou dans n'importe quelle organisation luttant pour le bien-être et la condition des opprimés... Sauf qu'il n'en avait concrètement jamais rien eu à foutre. S'il avait décidé de prendre les devants pour converser directement avec les membres de Shadow Ghosts, c'était notamment parce qu'il avait songé qu'il possédait des moyens de tirer profit de la situation. Cela lui semblait d'ailleurs désormais d'autant plus sûr, maintenant que Callie et Chtetlet avaient été placés à terre... L'endroit avait réellement besoin d'un héros, d'un leader afin de les mener vers un lendemain meilleur, et Ren Tao aurait probablement besoin d'un homme de main directement sur place, tôt ou tard, afin de remplacer la jeune épéiste un peu trop zélée et impétueuse. L'équation était aisée à réaliser... Pourtant, le jeune homme demeurait sérieux dans son rôle, celui de garant de la survie des civils. Si cet Empire était peut-être destiné à lui appartenir également, il préférait éviter que Tao ne le détruise bêtement... Toutefois, d'un autre côté, et comme il l'avait dit précédemment, cela ne le gênait pas vraiment de voir l'endroit se faire ravager et saccager par quelques brutes. Du coup, son seul moyen de voir la situation inextricable dans laquelle il se glissait volontairement était la suivante : un grossier quitte ou double, un simple moyen de tout gagner, ou de tout perdre. Enfin, s'ils ne parvenaient pas à obtenir gain de cause, ils pourraient toujours se frayer un chemin jusqu'à l'Archipel Shabondy, pas très loin géographiquement parlant, afin d'essayer de rebondir... Tandis que John assommait durablement Chtet' d'un coup de talon impitoyable décerné droit dans la nuque, son frangin prit à nouveau la parole, toujours aussi droit et direct :

-40%, et tu espères que les gens ne se rebellent plus ? Je pensais que les hors-la-loi étaient moins candides... Tu veux mon avis ? Au-dessus de 30%, c'est même pas la peine d'espérer conserver la population totalement sous contrôle. Dès que vous aurez le dos tourné, ils agiront. Et cette affaire finira soit en génocide, soit en indépendance. Dans les deux cas, votre porte-monnaie est plutôt sévèrement tabassé.

Là-dessus, le jeune homme se mit à marcher afin de rejoindre son jeune frère, allant s'asseoir sur le corps massif et inanimé de Chtetlet avec aisance et souplesse. Il ne semblait guère stressé par l'éventualité d'une lutte à venir avec Shadow Ghost, et pour cause : il ne comptait pas les combattre, et eux allaient probablement éviter une lutte trop dangereuse sans posséder de réels soutiens. Le problème, c'était que l'épéiste pirate venait de prendre la poudre d'escampette, et que la seconde de l'organisation refusait de marcher dans la manœuvre... Sans compter l'homme-poisson, qui avait déjà eu à tenir tête à Chtet', les ennemis ne possédaient donc plus autant de marge de man oeuvre qu'ils ne pouvaient en avoir une paire d'instant plus tôt. Un bon moyen de rétablir l'équilibre, et d'éviter une bête escalade de la violence... C'était également pour cela que Remy se permit donc de continuer à marchander sans la moindre pression, allant jusqu'à pointer un index droit en direction du Den Den Mushi :

-Ton boss n'est visiblement pas chaud pour répondre, mais si t'es autorisé à parler en son nom, alors tu peux peut-être arranger la situation durablement. Tu baisses à 30%, tu laisses ces deux-là en vie, et tu nous nommes gérants de Banaro. On vous livrera le fric et on protégera la populace, qu'on tiendra passive grâce à Chtet' et Callie, qu'il suffira de maintenir dans un état de léthargie pour éviter qu'ils ne reprennent les devants. Les laisser en vie prouverait votre bonne foi, et nous permettrait d'obtenir davantage de crédibilité. Tout bénéf'.

La proposition était simple et efficace, et pouvait effectivement permettre à Tao de se préoccuper d'autres affaires sans n'avoir plus rien d'autre à craindre qu'une hypothétique menace extérieure. Les citoyens seraient trop occupés à faire fonctionner l'économie et à s'inquiéter pour Callie et Chtet' le temps que John et Remy ne gagnent en légitimité... Lorsque cela serait enfin le cas, et lorsqu'ils feraient l'unanimité, les deux autres pourraient bien mourir car ils n'auraient plus la moindre importance. L'opposition décéderait alors avec eux, et tout le monde accepterait gentiment la régence de Shadow Ghost, en oubliant passage de tumultueux épisode de leur histoire qui avait bien failli voir une extinction précipitée de leur population toute entière.

John et Remy.

-Nos talents ? Admettons qu'on n'en possède pas, et que le premier forban venu foute la merde et nous exécute sommairement... Vous n'en auriez rien à foutre, pas vrai ?

Même s'il était certain qu'ils possédaient tous les deux des capacités suffisantes pour pousser les membres de Shadow Ghosts à leur faire confiance, Remy préférait très largement jouer de son pragmatisme naturel. En vérité, Ren Tao n'aurait probablement aucun souci même si un criminel retournait l'île et prenait ce qui l'intéressait : il n'aurait qu'à venir chercher le reste, ce qui lui appartenait. Il semblait bien décidé à l'idée de faire un génocide si la situation ne lui convenait plus à l'avenir, donc laisser la main à quelqu'un d'autre ne pourrait que lui enlever un problème éternellement... Tandis que John continuait à observer la scène avec intérêt, demeurant silencieux et placide, son frangin se mit à réfléchir aux autres dires de son interlocuteur. 35%, et une surveillance accrue de la part de l'un d'entre eux, sinon du boss lui-même... Le deal était déjà nettement plus satisfaisant qu'auparavant. D'un autre côté, les membres de Shadow Ghosts n'avait plus grand chose à perdre, compte tenu de la situation qu'ils avaient déjà eu à calmer. Une insurrection, c'était le pire fait possible pour une autorité... Alors pouvoir rebondir en gardant la certitude d'un peuple obéissant, c'était une chance inestimable. La présence des deux frères pouvait à elle seule leur permettre de garder la tension sous contrôle, tout du moins tant que Callie et Chtetlet ne se réveillaient pas pour faire du zèle... Et l'idée de les faire taire à tout jamais, notamment le deuxième, en faisant porter le chapeau au Gouvernement Mondial pouvait également porter ses fruits afin de construire un semblant de légitimité à Shadow Ghosts. Bref : envers et contre tout, le hors-la-loi à l'écharpe songeait qu'il pouvait récupérer plus encore durant cette petite partie de marchandage, mais se contenta pourtant de s'arrêter là. Ce n'était pas la peine de persévérer sur ce chemin... Il avait déjà atteint son objectif, en forçant le binoclard à engager une discussion avec lui malgré son côté très frileux et agressif au tout début de leurs échanges. Du coup, après un instant de silence et d'hésitation, le jeune homme entreprit de répondre aux envoyés du Tao :

-Bien. Sous cette forme, le deal me va. 35%, une surveillance de votre part, une protection de la notre. Chtetlet et Callie seront pour l'instant conservés sous contrôle, et éliminés ou libérés lorsque nous aurons besoin d'eux.

En remarquant que la situation s'était tassée et que les risques de combat soudain n'existaient plus vraiment, John se dirigea vers Callie qu'il attrapa lestement avant de la placer sur son épaule droite, toujours en silence. La chose ne lui convenait qu'à moitié, mais il adressait une confiance absolue à son frère, qui saurait probablement tirer profit de cette position périlleuse qui allait être la leur durant les jours à venir. Ils possédaient l'opportunité de se faire passer pour des héros aux yeux des citoyens de Banaro, s'ils jouaient correctement : malgré la défaite des deux protecteurs, ils avaient effectivement réussi à baisser drastiquement les taxes jusqu'à un niveau nettement plus abordable... L'économie allait peut-être s'arranger, doucement mais sûrement, et le niveau de vie allait probablement connaître un léger regain suffisant pour pousser les habitants à croire en l'espoir d'un lendemain encore meilleur. Remy, de son côté, se contenta de se redresser, quittant le siège qu'il s'était fait du corps inanimé de Chtetlet. Il se contenta d'ajouter à l'attention des envoyés de Ren Tao, afin de s'assurer que la chose leur convenait tout autant qu'à lui :

-Vous n'avez pas d'autres questions ? Si tout est bon, je vous serais gré de demander à vos potes de bien vouloir se retirer... Si vous buttez une partie des civils, on risque d'avoir du mal à paraître crédibles.

Avec un peu de chance, cet épisode mouvementé allait enfin pouvoir trouver une conclusion satisfaisante, et ce pour tous les partis directement impliqués... Enfin, presque tous. Une bonne partie de la population risquait de déplorer le joug de Tao qui persistait malgré tout, mais ces types allaient probablement se contenter de ce qu'on allait leur offrir...