Le voyage avait été particulièrement rude pour le Compost mais surtout pour son capitaine qui se retrouvait dans une forme d’émotion difficilement contrôlable. Il ne lui avait finalement fallu que quelques heures pour que Mama Ité lui raconte l’ensemble de ses péripéties. Le plus flagrant avait été le silence absolu qui régnait sur le navire tandis que les autres soldats et marins en venaient à chuchoter entre eux comme pour entendre ce qu’il se passait dans la cabine principale, le bureau du vieux vice-amiral.
Mama Ité n’omit rien, se laissant même aller à la mort d’Erwin sur laquelle Nils avait demandé chacun des détails, revenant sur la scène de façon terrible pour la grosse dame. Beaucoup de larmes avaient coulé ce jour là et bien qu’il s’en voulut, l’ancêtre ne parvint pas à exprimer le fond de sa pensée ou bien à verser des larmes importantes à son tour. Il restait encore là sur de l’inachevé et son autre petit-fils, Alphonse, était en vie. Cette nouvelle venait lui offrir un réconfort quelque peu sommaire et pourtant important. Ca avait été le dernier message de son autre petit-fils Erwin : le risque était dorénavant connu et s’était matérialisé, Alphonse porterait en lui l’image de la continuité du Stormblood, avec toute la pression que cela imposait à lui et bien malgré lui.
La journée était vite passée tandis que les marins, bien que respectueux du silence, s’étaient tous massés devant la porte de la cabine de l’ancêtre pour tendre l’oreille. Ils s’étaient tous attendus finalement à entendre des cris ou autre, à guetter la réaction tant attendue et pourtant, rien. Ainsi, lorsque Nils sortir de son bureau, il franchit le seuil de la porte et constata que bon nombre de ses soldats étaient en train de courir pour faire semblant de s’affairer à une tâche quelconque… le pont devait être particulièrement propre puisque certains se bâtèrent même pour avoir un balai en main pour donner le change. Finalement, tous s’interrompirent en voyant le capitaine : il souriait, et leva alors sa canne d’un geste triomphal.
C’est l’heure de la soupe !Déconcertés, tous les hommes sortirent leur gamelle fétiche au bout de quelques secondes tandis que d’autres soldats reconnurent le cri de ralliement et amenèrent la grosse marmite devant chacun des marins. Le Gratz avait changé, c’était certain : il prenait une forme de responsabilité dans cette affaire mais il allait le faire en différé, sans que tout le monde ne le perçoive. Mama plus en retrait, elle paraissait elle aussi affectée, peut être un peu plus que prévue.
Mais qu’est-ce que c…Ipère venait de s’endormir en rentrant dans la pièce. Quelques jours avaient de nouveau passé depuis que Nils était rentré et Clepe ne releva même pas la tête en voyant que son comparse de toujours se trouvait à quelques mètres de lui. Il en profita pour se saisir de quoi écrire et inscrivit quelques chiffres sur le visage endormi de son ami.
Le Tomane avait eu tout le loisir depuis quelques mois pour mettre en place une forme de pièce particulière, de toutes les récupérations qu’il avait pu faire au cours de ses pérégrinations - pour ne pas parler de ses larcins en réalité – il avait finalement réussi à reconstruire une « presse » de fortune avec l’aide d’un nouveau compère : Alter Kangou. Le charpentier avait su l’aider u mieux et finalement, c’était des papiers de toute sorte qui sortait de l’imprimerie de fortune.
En quelques mois, il avait trouvé le moyen de mettre en place une forme d’imprimante à base de dessins sommaires et incapable de reproduire quoique ce fut mais paraissait tout de même satisfait du résultat. Une épidémie de « reconnaissances de dettes » alambiquée avait réussi à infiltrer le réseau du Compost et de tous ses composants. Il était même parvenu à faire des tickets de cantine pour avoir un peu de rab de soupe et, maintenant, il s’attelait peu à peu à imprimer une toute nouvelle monnaie dont il aurait le contrôle. Quel plus beau vol que celui qui nous permet l’indépendance finalement ?
Se réveillant, Ipère poursuivit comme si de rien n’était montrant une image de lui-même dessinée avec une certaine approximation.
C’est que ça ?!Bah c’est toi ! ça vaut 16 Clepes.Et c’est qu…Il était reparti dans les bras de morphée. En réalité, le navigateur avait toujours été la conscience morale de la vieille vigie, nul doute que ses endormissements à répétition n’avaient finalement que peu d’impact sur les capacités du vieux cleptomane à passer du côté obscur de la flotte.
Toi, Clepe, Ipère, Ginny. Je ne veux qu’un petit groupe et je ne veux plus que ma petite-fille soit seule. Le commandement sera sous Montnostie et Apud’soul en attendant. Qu’ils se tiennent prêts en revanche.A vos ordres. Mama quitta la pièce sans émettre la moindre objection même si elle se pinça la lèvre inférieure comme si elle retenait quelque chose. Il était évident qu’elle s’en voulait toujours pour Erwin et Nils n’avait pas été d’un grand tact dans tous les échanges qu’ils avaient eu. Lui qui était si perdu et frêle habituellement en venait à prendre des décisions presque cohérentes… tous ces changements ne lui indiquaient rien qui vaille.
Laissant sa cuisinière sortir sans un mot de plus, Nils lâcha un soupir de soulagement. Pfiouuu ! Il avait finalement réussi à mettre à distance ses émotions depuis plus jours ! Il manquait plus qu’il se mette à pleurer où à ne pas gérer devant ceux dont il avait la charge et ça aurait été le pompon ! Imaginez un peu si le vioque se mettait à chialer comme une petite jouvencelle. Non, il fallait se ressaisir, après tout, c’était lui le patriarche non ?
Un poil plus tremblant, il laissa échapper une autre respiration et un immense pet nauséabond se répandit dans la cabine tandis que soudainement on frappait à la porte. Mama entra à nouveau et le vieillard n’eut d’autre choix que de faire une moue des plus sérieuses et des plus contenues : les doigts des mains entremêlés comme s’il réfléchissait sur des questions existentielles avec un air grave. La grosse dame déglutit, l’ambiance avait de nouveau changé et un sérieux inhabituel s’était encore renforcé, doutant encore plus, elle s’excusa et referma la porte. Nils pouvait enfin se lâcher, un bruit sourd retentit alors tandis que la vie continuait pendant la traversée.
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Le reste du voyage s’était passé ainsi et l’ancêtre oscillait alors entre temps de nervosité et d’accalmie, ne sachant en réalité pas par où commencer et où s’arrêter. Son comportement erratique se comprenait, c’était certain. Il posait en revanche question auprès de ses hommes et ça, le vieillard n’était pas encore en capacité de le comprendre. A force de trop retenir pour lui, s’il avait initialement su se pardonner à lui-même, il n’était pas encore parvenu à faire accepter ces idées de changement au sein de son équipage. Nils restait persuadé de devoir investir le terrain de la protection… alors que cette haine et cette vengeance, tous la recherchaient, c’était pourtant visible comme le nez au milieu du visage. Finalement, seul le vice-amiral restait aveugle à cet endroit-là.
Ainsi, le petit groupe avait fini par se servir des intérêts de chacun pour trouver un moyen de se rapprocher d’Alphonse. Mama portait un énorme balluchon avec sa marmite et l’œuf bleu tandis que Clepe et Tomane se trimballaient avec un monceau de papiers préalablement copiés et différents. Nils n’avait que sa canne tandis que plusieurs autres sacoches étaient portées par Cornella, la licorne qui servait finalement de bête de somme ici. Des antipoisons, de la bouffe, pas mal de babioles et encore d’autres éléments particuliers trainaient de ci de là.
Les rues étaient désertes autour du petit groupe qui avançait. Seule Ginny s’émerveillait de chaque nouvelle ruine en contant une nouvelle histoire pour chaque famille et chaque maison délabrée. Ipère tenait tant bien que mal baillonné sur Cornella également pour s’assurer qu’il ne ralentirait pas le groupe en s’endormant et ce fut pour le bien de tout le monde jusqu’à ce que finalement, ce soit la plus jeune qui remarque les deux champignons, sortant alors l’ancêtre de ses rêveries. Nils avait son cœur qui battait la chamade, comme s’il savait qu’il se rapprochait un peu plus d’Alphonse à chaque minute qui passait. La désolation autour de lui offrait néanmoins un terrain particulier à ses émotions et c’est non sans mal qu’il ne sut quoi répondre dans un premier temps à la question.
Oh Chapi Chapo ! Oui. Ginny avait renommé les deux vieux champignons, après tout, quoi de plus normal. La stypeur ainsi engendrée vint même réveiller le vieux Palnore qui se mit à crier à son tour comme par réflexe.
C’est l’heure de la soupe !Tomane sortit alors sa gamelle en suppliant Mama du regard qui décida de poser la marmite pour improviser un repas dans la rue sous l’œil vigilant de Nils qui avait acquiescé en se grattant la barbe après un instant de réflexion. Nils avait un plan et le meilleur moyen de s’y tenir restait de rencontrer le plus de monde possible.
Allez-y.Clepe et Ipère empilèrent alors des bols initialement dans les sacs de Cornella pour permettre à qui veut de se servir une fois que la pitance serait prête. L’objectif était en réalité un peu différent car, à chaque personne qui viendrait, Ipère et Clepe présenterait un papier avec une reproduction du village d’Alphonse faite à la main ainsi que le dessin d’araignées diverses. Si ces dernières n’avaient en réalité aucune ressemblance avec la réalité, ils comptaient sur la symbolique pour retrouver à la fois l’un des petits-enfants de l’ancêtre mais également l’ennemi le plus haï de tout le compost.
Ainsi, le petit groupe se retrouverait là, au milieu de tout, prêt à servir de la soupe à tous les nécessiteux. Au centre reposait l’œuf bleu également qui mijotait dans la soupe. Était-ce le début de ce qu’on appellerait par la suite la soupe populaire ?