« On t'interdit de rêver, car on te dit que tes rêves ne paieront pas tes factures, mais on n'oublie que si tu accomplis tes rêves tu pourras payer les factures de tout le monde. »
∟William Kalubi Mwamba.
Chapitre 0 : Cœur en miettes
Gyuueki, Nouveau Monde.
Peste Bovine.
Était-il homme ou divinité ?
Était-il mythe ou réalité ?
Avait-il un sens ou quelconque entité ?
Avait-il réellement existé ?
Kokushibo…
Forgeron de renom auprès des esprits les plus troublés. Cette « créature », comme la dépeignaient les récits, était un humanoïde pourvu de cornes. Respecté pour ses œuvres d’art d’une minutie folle, il se rangeait au sein d’une catégorie très sélective d’illustres forgerons. Faisant la fierté des races cornues, la simple idée de le rencontrer égayait bien des cœurs. Les armes, les armures et tout autre objet qu’il venait à concevoir étaient parfaits. Dénués d’impureté, ils créaient l’envie et la convoitise en plus d’une fascination presque irrationnelle.
Rapidement, l’être parvint à installer son nom au sein de sa communauté, devenant une personnalité tant reconnue que crainte. On ne craignait pas nécessairement de croiser le fer avec lui, mais bel et bien d’être la cible d’une de ses créations.
Malgré son apparence atypique, Kokushibo n’était point détesté. En effet, il possédait un troisième œil au centre de son front, ce dernier se voulait parfaitement fonctionnel et lui offrait un autre angle de vue. Lorsqu’il forgeait, cette œil se révélait être la pièce maîtresse de sa minutie, la pièce maîtresse de son talent.
Homme simple, souriant, accompagné d’une femme et de ses deux enfants, il n’avait rien à envier. Pourquoi envier quoi que ce soit lorsque la vie nous souriait constamment ?
Néanmoins, de tout temps l’avarice humaine était de mise et l’esclavage de même. De tout temps, les races cornues furent convoitées et ce genre de choses arrivait.
Quel genre de choses ?
Des hommes.
Des humains.
Cupides.
Gourmands.
Envieux.
Orgueilleux.
Ceux qui, se sentant dotés d’une sorte d’immunité, se permettaient de franchir les territoires d’un pays… Ceux qui arrivaient avec leurs armes et leurs savoirs afin d’asservir autrui. Les armes à feu crachant leurs explosions, les chaînes nouant les familles colonisées. Bientôt, ce qui devait ressembler à une idylle devint un cauchemar.
Ses cornes furent sciées, sa femme fut violée, puis enlevée.
Ses enfants, dûment cachés, furent épargnés, mais il était trop tard. La famille de Kokushibo n’était plus qu’un trio brisé par la disparition d’une mère aimante et déshonorée.
Pourtant, la vie devait reprendre son cours, la vie devait se poursuivre. Même si les cornus devenaient méfiants et hostiles, la vie reprenait, la vie du village où était Kokushibo se poursuivait. La colonisation n’étant qu’une phase d’un cycle.
Cependant, une chose changea. La « créature » maintenant sans cornes, s’en retrouvait priver de son talent. La perte de l’être aimé, le déshonneur, tout cela entacha son talent, brisant ainsi sa personne. Père au regard vide, il n’élevait ses enfants que par automatise. Le sourire ne toucha plus son visage. Les armes de cet être ne valaient plus rien. Le métal mal travaillé, les armes tordues, il ne savait plus forger. Kokushibo, le forgeron de légende, était tombé dans l’oubli.
Ses enfants gardaient espoir en lui, le motivant chaque jour, chaque nuit. Jusqu’au jour où l’homme décida de forger la plus belle des lames, la lame au nom de sa femme… Shikyuugan, cancer de l’utérus.
Nuit et jour le marteau frappait la lame, l’homme n’en dormait plus, les doigts saignants, les yeux en pleurs. Il tenait la cadence, effrayant ses enfants alors âgés de dix-sept et vingt ans, de la fille au garçon.
- Père arrête, tu te fais du mal, regardes ton corps, il tremble.
Lui disait sa fille.
- Père arrête, tu te fais souffrir, regardes tes doigts, ils saignent.
Lui disait son fils.
- Non ! Cette lame représente notre famille, elle doit être parfaite, c’est le feu qui n’est pas assez chaud ! C’est tout ! La lame est imparfaite !
Répondait le père.
Une sorte d’immense cuve de roche, pleine de métal rendu liquide par l’immense brasier qui y vivait, servait à forger l’arme, l’homme frappa contre celle-ci, sur une grande enclume, située en périphérie.
- Mais notre famille n’existe plus ! Tu ne nous regardes plus ! Depuis la disparition de Mère, nous vivons sans raison, sans but !
Lui dirent ses enfants.
- Cette lame sera notre famille ! Elle sera notre raison de vivre ! Votre mère renaîtra à travers elle !
Disait-il.
- Non Père ! Une lame ne sera jamais vivante, tu perdras ta famille à trop t’y atteler. Le feu ne sera jamais à la température suffisante pour toi !
Lui criaient ses enfants.
- Taisez-vous ! Laissez-moi faire !
Hurlait-il.
C’est alors que l’impensable eut lieu… Si cette lame devait représenter leur famille, si leur vie ne valait guère plus qu’une épée, si le feu devait offrir une raison d’être à leur famille, alors il en serait ainsi. Dans une décision aussi macabre qu’irrationnelle, les deux enfants se jetèrent dans le bain de métal liquide. Leur vie de famille n’avait plus de sens après tout…
Il était trop tard. Ils ne faisaient plus qu’un avec le métal. Ce fut dans une sorte de haine stupide, dans un sentiment de désarroi que l’homme décida alors de jeter la lame dans la cuve. Il l’avait travaillé nuit et jour, mais en quelques minutes elle fit corps avec le reste du liquide. Dans une colère sans nom, l’homme coula alors le métal dans deux moules…
Des yeux ne coulaient plus des larmes, mais du sang, la chaleur avait brûlé le bout des doigts et bientôt l’œil frontal lui aussi saignait. Les yeux rendus pourpres par le surmenage, cependant c’est par cette haine que naquit les deux lames.
Sandaï Kokushibo.
Nidaï Kokushibo.
Originellement appelée Souseiji No Kokushibo. Pour Jumeaux de la Peste Noire. Leur nom déclina pour une raison.
Dans sa haine, une fois ses lames forgées, Kokushibo les mena à l’Empereur Démon. Il voulait attirer son attention sur le retour du forgeron de renom qu’il était. Cependant, l’apparence hideuse des lames eut l’effet inverse. Des yeux bariolaient l’ensemble des lames. Horrifiques, démoniaques. L’homme fut sommé de partir, jugé comme étant devenu fou.
Alors, une fois sorti, pour prouver la qualité de ses lames, ce fut à un massacre que l’homme s’adonna. Lui qui n’était pas un guerrier avait appris à manier le sabre dès la disparition de sa femme. Lui qui avait été toujours joyeux retrouva le sourire en cet instant. Ces lames jumelles représentaient ses enfants et leur union représentait sa femme. Dans des larmes de sang, dans une douleur irascible, dans une folie meurtrière, l’homme tuait abondamment, jusqu’à finalement être lui-même éliminé.
Les lames disparurent alors de la circulation, mais pas seulement.
Au sein du village d’où venait Kokushibo, tous avaient plus ou moins des liens de parenté.
La simple idée qu’une telle engeance renaisse un jour poussa l’Empereur de l’époque à prendre une décision radicale. Ce village, qui n’avait pas su voir la folie naissante de cet homme, devait disparaître à jamais.
Exilé sur une île, la population du village de Gyuueki fut réduite au silence.
Elle continua de perdurer, malgré tout, chacun tentant de vivre au mieux.
Et enfin, au fil des siècles, le peuple de Gyuueki put s’approprier pleinement l’île qui en prit le nom.
Jusqu’à
sa naissance.
Shisen Kunan.
Chapitre 1 : Lithopédion
Il avait toujours été coutumier pour le peuple de ce village de posséder des noms atypiques. Kokushibo signifiait Peste Noire, Gyuueki signifiait Peste Bovine. Kunan Shisen signait « Souffrance entre la vie et la mort ». Avec le temps l’île s’ouvrit au monde et quelques personnes y passaient, faisant de brefs arrêts avant de repartir, découvrant une tribu de cornus assez atypiques.
Les deux parents avaient longtemps espéré avoir un enfant, elle était couturière et lui médecin. Ils vivaient simplement, mais eurent beaucoup de mal à procréer après plusieurs fausses couches. Lorsqu’enfin la mère put mettre un enfant viable au monde, ce ne fut malheureusement pas la joie, mais bien la frayeur qui l’habitat.
L’enfant pourvu d’une quantité d’yeux, juste faramineuse, effraya jusqu’à ses parents ! Accouchant dans la plus grande des discrétions, le mari fit accoucher sa femme lui-même grâce à ses compétences. Ce fut dans un silence de mort qu’ils décidèrent de cacher l’enfant. Du moins de cacher ses attributs.
Le couvrant de bandelettes en tout genre, pour que seuls ses yeux soient visibles, ils firent grandir Shisen avec l’idée qu’il ne devait pas montrer sa véritable apparence. Cela jusqu’à ses seize ans.
- Pourquoi je ne peux pas montrer tout mon visage ?
Demandait-il
- Tu serais vu comme une abomination… Ils voudraient que tu disparaisses Shisen.
Lui expliquaient ses parents.
- Mais Kokushibo possédait trois yeux ! J’en ai six ! En plus ils sont différents !
S’écria-t-il.
- Ils ne le comprendraient pas et tu le sais ! Cela réveillerait d’ancienne frayeur ! Ils auraient peur que tu les massacres un jour, comme l’a fait Kokushibo.
Lui diraient-ils.
- Mais j’aime mon peuple, je ne vais jamais leur faire de mal.
- Ils ne prendront pas cela en compte Shisen…
Si la discussion se termina par cela, ce fut sans compter sur le désir de liberté du garçon.
Il ne pouvait vivre sous une masse de tissus destinés à brimer sa véritable apparence, son corps il en était l’unique maître. Pourquoi la société des siens le rejetait ? Il ne pouvait s’y résoudre. Ainsi, profitant d’une fête commémorative, il commit l’irréparable.
Ôtant les bandelettes de son visage, soi-disant rendu hideux par une malformation de naissance qui n’étonna guère. Il était après tout le fils du couple n’ayant jamais réussi à procréer…
Pourtant, en ce jour il révélait son visage au monde, il révélait son visage à son peuple.
Les visages se déformèrent en des expressions faciales d’effroi. D’autres visages devinrent sombres. Les yeux s’écarquillèrent et tout s’enchaîna si vite.
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- J’étais alors vu comme une hérésie et mes parents comme des traîtres. Rapidement ils furent saisis et ligotés. Leurs visages transformés par la peine, les pleurs de ma mère maculant ses joues qui lui donnaient son air enjoué… Mon père, homme de science, tentant de se défendre par les mots. Cependant, il était trop tard, je venais de briser ma famille. Il ne fallut que peu de temps pour que mes parents soient mis au bûcher. Il ne fallut que peu de temps pour que je sois enfermé.
Le visage d’un Shisen Kunan adulte, se posant sur celui de Shingen Kotetsu, l’humain à qui il racontait son histoire.
- Bientôt, ma vie prit un véritable tournant. De jeune handicapé conforté par la pitié d’autrui, je devins la bête qui devait payer pour son ancêtre. De garçon malaimé de la nature, mais gentil, je devins l’incarnation de la souillure et de l’immondice. Ils ne voulurent point me tuer, non. Ils voulurent me faire payer. Me faire payer mes actes ? Non. Me faire payer les actes de celui dont à leurs yeux j’étais une sorte de réincarnation.
Les sévices qu’ils m’infligèrent devaient s’inspirer de ce fameux Kokushibo. Mes ongles arrachés et brulés afin de ressembler à ceux de Kokushibo lorsqu’il forgea ses lames jumelles. Mon corps partiellement brûlé pour refléter le sacrifice de ses enfants. Tout cela ne tenait pas la route. Pourquoi devais-je être une cible ? Pourquoi devais-je payer par héritage le poids d’actes qui n’étaient pas les miens ?
La descendance justifiait-elle le destin de chacun ?
Je me suis longuement posé des questions de ce type. Au fil des années, les sévices furent toujours plus ingénieux. Mon corps n’oubliait pas la douleur, je pensais pouvoir en faire abstraction, mais elle ne disparut jamais. Néanmoins, j’eus le temps de réfléchir à la vie, au sens des choses. Je m’étais alors résolu à accepter mon destin… Jusqu’au jour où il arriva….
Regis Thomas.
Chapitre 2 : Une âme pour deux
Cet homme d’Ohara, sa peau ébène, ses cheveux rendus « draids locks » par envie personnelle, il n’avait rien d’un archéologue. Âgé d’une bonne quarantaine d’années, voire plus, il avait fui son île afin de voguer sur les mers. Si l’archéologie le passionnait c’était avant tout pour découvrir ce que les livres lui avaient appris. Le sourire sur son visage n’avait d’égal que sa bravoure.
L’apprentissage des ponéglyphes lui avait été quasiment imposé, lui qui préférait les histoires s’attrayant aux sabres légendaires. Il ne cherchait pas à les posséder, mais simplement à en découvrir l’histoire ou les voir de ses propres yeux. Bien des meitous croisèrent sa route d’observateur, mais deux d’entre eux marquèrent son existence.
Sandaï et Nidaï Kokushibo. La légende avait évolué au cours de l’histoire, racontant qu’en fondant ces lames, respectivement parmi les cinquante, ainsi que les vingt-et-une meilleures lames du monde, il était possible d’en créer une nouvelle.
Pour cela il fallait fondre celles-ci, puis les couler sur une autre arme afin de créer l’arme parfaite : Ichizoku Kokushibo, pour « La Famille Kokushibo ».
Néanmoins, au fil des siècles les armes disparurent, passant de main en main jusqu’à se perdre. La légende voulait que les deux lames aient un point commun… Si les « Kitetsu » apportaient la malchance, les « Kokushibo » créaient chez l’utilisateur une irrésistible envie de meurtre. Les lames furent ainsi maudites et abandonnées. Leurs localisations en étaient devenues les plus grands mystères.
Ce fut cette idée qui poussa Regis Thomas à partir à leur recherche. Ou recoller les morceaux de cette histoire. Ainsi, il découvrit l’histoire de Kokushibo, puis celle de Gyuueki.
Il lui fallut de longs voyages pour parvenir jusqu’à l’île en question, mais il y parvint.
Arrivant dans le village dans le but d’en découvrir plus sur cette histoire, c’est avec une certaine fierté que les locaux voulurent lui montrer Shisen. Selon eux ils avaient trouvé la provenance de Kokushibo et pourraient ainsi stopper sa lignée. Pourquoi ne pas l’avoir tué ? Pour se venger encore un peu…
S’installant au village quelques temps afin d’étudier Shisen, Regis commença à parler de plus en plus avec le jeune homme. Il y découvrit une criante humanité, mais surtout une sorte de lâcher-prise.
- Pourquoi as-tu abandonné l’idée de te rebeller Shisen Kunan ?
Demandait Régis.
- Par amour pour mon peuple. Ma mère et mon père ont été tués par ma faute, pourtant cela n’a attristé personne. Je suis devenu un faire-valoir. Une sorte de grigri qu’on agite dès que la misère s’abat sur le village. Durant les périodes de sécheresse je suis fréquemment mutilé, mais manifestement cela semble avoir des effets sur le climat.
Dit-il d’une voix morne.
- N’est-ce pas plutôt le hasard qui fait cela ? De plus, en quoi est-ce de l’amour que de souffrir pour ton peuple ? Te considèrent-ils comme un des leurs ?
- Indéniablement, ils sont obligés de me considérer comme l’un des leurs. Ils voient en moi la réincarnation de l’ancêtre commun à tout villageois de Gyuueki. Ils voient en moi la raison de leur isolement. Cependant, contrairement à Kokushibo, je prouve que mon existence apporte la paix. Je ne détruis pas, j’apaise la haine en faisant don de mon être. C’est en cela qu’il s’agit d’amour.
Expliquerait Shisen.
- Mais ce n'est pas si simple l'amour, les humains disent s’aimer tous les jours. Mais cela n'est pas vraiment le cas. Ils se bercent d’illusions en imaginant un amour utopique, parfois mue par des pensées purement égoïstes ou matérialistes. J’ai pu découvrir cela au fil des récits historiques que j’ai lu.
Argumenta le Thomas.
- Récits historiques ? Il existe d’autres histoires plus importantes que celles de Kokushibo ?
- Bien entendu. De là où je viens nous étudions l’histoire depuis son plus vieil âge !
Expliqua l’archéologue.
- Il y a d’autres histoires plus importantes… Ma souffrance n’est qu’un grain de sable ? La mort de mes parents n’est qu’une goutte d’eau ? NON ! NON ! NON ! C’EST IMPOSSIBLE ! QUELLES SONT CES HISTOIRES, DIS-LES MOI !
Hurla Shisen avec une rage soudaine.
Sa vie venait de prendre une tournure imprévisible. Il pensait être une cause de souffrance logique et perpétuelle pour l’ensemble du monde. Son cerveau avait été matraqué avec l’idée qu’il descendait d’une créature meurtrière. Pourtant, il n’était qu’une chose parmi tant d’autres ? Qu’une histoire qui intéressait une poignée d’êtres ?
Regis avait pris l’habitude de discuter avec lui, il avait découvert sa part d’humanité. Il avait vu en Shisen un être humain dont les connaissances se limitaient à son île, mais dont la philosophie s’élargissait au monde avec beaucoup de naturel.
Cet être pourvu de six yeux ne pouvait être un monstre. Il s’agissait d’une victime au mieux.
Alors dans un élan altruiste et dangereux, Regis Thomas prit une grande décision…
Libérant Shisen durant une nuit noire, l’homme prit la mer avec cet être faible, le corps amaigri par la faim. La fuite fut ardue, le village les poursuivant durant leur fuite. Regis ayant pris le Kunan sur son dos afin de se mouvoir suffisamment vite…
Si les torches enflammées, les cris de haine et les jets de flèches firent trembler l’homme à la peau basanée, ce fut une tout autre chose qui le fit sourire. Lorsqu’ils arrivèrent au navire, Shisen ria.
Regis avait trébuché en arrivant devant le bateau et ce fut par ce geste qu’ils s’y engouffrèrent.
- Aventurier connaisseur en histoire, mais maladroit, hahaha…
Sa voix fatiguée par le temps ne rendait pas son rire moins sincère.
- Eh bah le démon Shisen Kunan peut rire !
Ria l’Archéologue.
Chapitre 3 : Festival de rêves
Le temps était passé depuis, Shisen et Regis avait pris l’habitude de voyager ensemble. Regis lui inculqua de nouvelles règles de vie. Il lui enseigna bien des choses et lui montra une autre façon d’aborder la vie. Le cornu n’avait pas à cacher son corps, il pouvait voyager librement. Malgré tout, Regis lui avait expliqué ce qu’était le racisme, ainsi le cornu faisait attention aux lieux où il se montrait.
Même libre son corps restait un problème. Un problème plus tolérable, mais un problème. Il vivait plus simplement vis-à-vis de sa morphologie, tout en restant prudent par habitude et par nécessité.
L’histoire du monde créa chez le démon une sorte de curiosité candide. Il lui fallait comprendre. Au sein de son village il eut l’impression d’être la réincarnation d’une divinité, tandis qu’aux yeux du monde il ne représentait rien, aux mieux une race étrange.
Excellent professeur, l’homme lui transmis aussi bien ses valeurs que ses connaissances en archéologie, lui transmettant ainsi la dangereuse, mais nécessaire lecture des ponéglyphes.
- Ces écritures anciennes sont probablement le plus grand frein historique de nombreux archéologues. Ils sont parfois connaisseurs dans bien des dommaines, mais face à ce genre d’écritures ils ne peuvent rien faire. Pire encore, lorsqu’ils les découvrent, ils rebroussent chemin, faisant l’autruche sur certaines découvertes.
Néanmoins, le Gouvernement Mondial n’apprécie pas ce talent… L’île d’où je viens, Ohara, a été détruite à cause de cela. Nos recherches mènent à découvrir une époque ancienne que le Gouvernement semble vouloir cacher. Je n’en connais pas grand-chose, ayant été intéressé par d’autres sujets.
Qui plus est, ces écritures anciennes mèneraient à des armes ancestrales… Des armes qui pourraient briser l’ordre établi en ce monde. L’idée que ces armes ressurgissent effraie les hautes instances je suppose.
Cette longue explication poussa Shisen à une question assez logique le connaissant, bien que particulière.
- Il n’existe pas d’arme permettant de créer la paix ? Peut-être le Gouvernement Mondial l’ignore.
L’air médusé, l’archéologue ne s’attendait pas à une telle question…
- C’est une possibilité, mais je doute que le terme « arme » serait employé pour cela. En revanche, il est possible que ce savoir montre une voie menant à la paix. Depuis toutes ces années que j’ai passé à voyager, j’ai été confronté aux guerres, à la haine et autres tyrannies. J’ai fait passer ma passion avant tout, mais l’idée d’un monde en paix est toujours restée dans mon esprit. Cependant je n’ai pas été doté d’un corps permettant cela…
Répondit Regis.
- Comment ça ? Tu as réussi à me libérer de mon village et tu voyages librement.
Dit Shisen.
- Certes, cependant je suis mal né… Il me reste au mieux deux années à vivre. Ton visage souffre d’une malformation, moi c’est mon cœur. Il ne tiendra pas la route éternellement.
- Il n’y a pas de remède à cela ?
- Il existait un médicament pouvant rallonger ma vie de quelques années, mais à terme j’aurais subis de plus en plus d’effets indésirables de ma maladie. Alors j’ai préféré vivre cette vie librement, en m’intéressant à mes rêves. J’ai vu énormément de meitous au fil du temps. Je n’ai pas vu les Kokushibo, mais j’ai vu la pseudo réincarnation de leur forgeron haha !
Dit-il en riant
- Comment fais-tu pour rire de ta mort Regis !
S’écria le Kunan.
- Toute ma vie je me suis remis en question, mais sans réponse. J’ai rêvé de roses pouvant me guérir, mais j’ai vécu dans les ronces en revenant dans ma triste vie. Je ne pouvais pas être soigné. Alors, j’ai décidé de prendre la vie avec légèreté, de rire et de faire ce qui me passait par la tête.
- Regis…. Je vais poursuivre ma vie pour toi dans ce cas ! Sans toi je n’aurais pas pu voir le monde, je n’aurais pas pu vivre aussi librement ! Je continuerai ton rêve de découverte des meitous et…
Alors l’homme l’arrêta, posant sa main sur l’épaule du cornu.
- Non, les meitous faisaient partie de mon rêve, il ne s’agit pas du tien. J’ai vécu en vivant selon mes rêves, tu dois vivre selon les tiens si tu souhaites réellement perpétrer ma volonté.
- Je vivrai pour créer la paix.
- Oh ! Un héros ! J’ai hâte de voir tout ça depuis l’au-delà !
Chapitre 4 : Humains
Deux années passèrent, le duo avait regagné Grand Line afin de vivre plus tranquillement. Dans le Nouveau Monde ils devaient constamment faire appel à des transporteurs pour voyager « en toute quiétude », cela n’était plus faisable dorénavant.
Sur Grand Line ils vivraient sereinement. Le duo pu ainsi voyager encore un peu avant d’arrêter sa course sur High West. Le corps de Regis Thomas l’avait abandonné. Lui qui était si dynamique et plein de vie devait aujourd’hui s’arrêter.
Alors installé dans une auberge des plus classiques, il échangeait là ses derniers mots avec Shisen.
- Moi qui voulait vérifier si une lame légendaire était caché dans cette montagne, je me retrouve bloquer face à elle. Ironiquement cette fameuse montagne monte droit vers le ciel.
Dirait le Thomas.
- Alors, peut-être que tu graviras cette montagne en esprit et découvrira son secret. Ce sera ta dernière aventure.
Les yeux du Kunan ne pleurait pas, il souriait. Il était heureux de la vie que lui avait offert Regis Thomas.
- Héhé, ce sera mon dernier voyage et tu n’es pas invité ! Toi tu dois partir découvrir le monde, découvrir ton « arme pour la paix ».
Dit-il en riant.
- Fais attention que je ne trouve pas le secret de la résurrection, tu risquerais d’être témoin de cette paix depuis le monde des vivants et non celui des mort.
- Pourquoi pas ! Qui dirait non à une deuxième vie d’aventure et de joie !
Sourire aux lèvres il ferma les yeux….
- Ce serait avec plaisir que je reprendrai la mer avec toi Regis Thomas… Mon nom représentait la souffrance de l’existence, la souffrance d’une longue vie avant de pouvoir mourir… Tu as changé ce nom, tu m’as offert la joie entre la vie et la mort, le bonheur… Je t’en serai éternellement reconnaissant !
La main de l’archéologue serra celle du cornu dans une dernière étreinte, relâchant la pression doucement, elle retomba lourdement sur le lit. Dans un silence mélancolique les larmes quittèrent les yeux du cornu... Désormais, il vivrait seul.
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- C’est en tout cas ce que je croyais avant de te rencontrer Shingen Kotetsu. Je n’aurais jamais rencontré une autre personne avec qui prendre la mer entre temps. J’en suis très heureux.
Chapitre 5 : Même Issue
Pourtant, l’histoire ne s’arrêtait pas là…
Décidant de se rendre sur Jaya afin de découvrir l’autre porte d’entrée vers le ciel où était partie l’âme de son mentor, Shisen rencontra un jeune homme singulier.
Se nommant « Noctis Archer », il se targuait d’être la réincarnation d’une divinité. Tout comme Shisen, lui aussi était issu d’une petite histoire méconnue et tout comme lui, il était aussi une soi-disant réincarnation… A la différence que Shisen était celle d’un être vivant…
Par curiosité, le démon s’intéressa grandement à l’histoire de Noctis. Découvrant une histoire semblable à la sienne, il voyait ce qu’aurait pu être sa vie s’il avait été une bonne réincarnation et non une mauvaise. Contrairement à lui, l’Archer avait grandi avec l’idée qu’il était au-dessus d’autrui. Là où le Kunan se vit comme une peine acceptable pour le bien commun, le Musicos se voyait comme un bienfait pour le monde.
Il ne concevait pas l’idée que des histoires plus importantes que la sienne existent. Il n’en niait pas l’existence, mais supposait qu’elles étaient moins importantes, au mieux plus relayées. La transmission d’informations eut un exercice erroné dans son cas, mais efficace pour les autres.
Pourtant, de cette histoire plus qu’égocentrique Shisen en retira un concept.
Le culte du Chaos s’orientait autour d’un élu, certes. Cependant, il prenait en compte le fait que l’élu meurt vite et qu’un autre n’apparaisse que dix ans après le précédent. En clair, il partait du principe que l’élu soit un moteur, sans être l’élément central de la machine. Là où le culte du Chaos prenait tout son sens c’était dans sa conception de la vie.
La vie devait être détruite, pour être recréée avec davantage de perfection. L’existence devenant alors un cycle sans fin, une boucle perpétuelle. La destruction entrainait le renouveau. La fin créait le commencement. L’éradication de la vie ne constituait pas une fin en elle-même. Elle composait l’œuvre immense que s’avérait être « la renaissance ».
De cette philosophie égoïste naissait une idéologie philanthropique.
Si le philanthrope aimait la vie humaine et le genre humain, l’idée d’une destruction et de renouveau permettait à l’humain de renaître.
De renaître sous une forme nécessairement plus immaculée, plus parfaite que la précédente.
L’idéologie ne pouvait être arrêtée à l’humanité, il fallait la pousser aux animaux, à la nature, à la vie.
La vie devait disparaître pour renaître d’elle-même sous une forme nouvelle. Faisant état de ce qui l’avait détruite, pour ne plus disparaître à nouveau.
Chapitre 6 : Perplexe
- Le monde évolue constamment, les guerres, la tristesse, toutes ces choses s’entremêlent dans notre monde. Les religions émergent, les idéaux s’entrechoquent. Le monde se livre à une guerre dénuée de sens. Pourquoi chercher des religions, des mouvements ? L’harmonie parfaite. C’est ce que nous devrions chercher. Cet état de communion entre les êtres vivants.
Ces paroles furent les premières paroles que Shisen échangea avec Shingen lorsqu’ils se rencontrèrent. L’humain en face de lui était empli d’une haine viscérale envers le Gouvernement Mondial. D’autres, les révolutionnaires, souhaitaient changer l’ordre mondial établit par ce gouvernement. Cette situation poussait le cornu à s’interroger. Pourquoi l’ordre mondial trouvait des opposants ? Peut-être parce qu’il était imparfait.
Cependant, si la Révolution se voulait si parfaite pourquoi l’ensemble du peuple, de la nature même, ne se soulevait point pour l’aider à réussir dans ses projets ? Comme était-il possible qu’un mouvement novateur ne puisse gagner le cœur du peuple ? Peut-être parce qu’il était lui aussi imparfait.
La drogue, l’esclavage, les guerres commerciales, toutes ces choses motivées par la Pègre trouvent leur place en ce monde, alors qu’elles détruisent des vies par pure avarice. De ce fait, le monde criminel se dresse comme étant abjecte, car contre le concept même de la vie. Peut-être parce qu’il était imparfait. Encore.
La piraterie, la chasse à la prime, ce monde de liberté basé parfois sur l’aventure pour les uns ou le gain d’argent pour les autres. Si pour les pirates il y avait cet aspect aventureux qui était tout à fait noble, certains s’adonnaient à des batailles inutiles entre humains dans des objectifs tout à fait personnels. Les chasseurs de primes couraient après l’argent, mais pourquoi ? Pour une vie de luxure et de quiétude ? Il y avait-il une avancée à réaliser ce genre de choses ? Non. Peut-être parce qu’il était imparfait. Encore et toujours.
La vie de civil offrait une tranquillité parfois, une instabilité dans d’autres cas. Pourtant, les hommes trompent et battent leurs femmes, des femmes trompent leurs hommes, des familles se brisent, des personnes sombres dans la drogue. Même au sein d’un univers tranquille les humains se détruisent. Peut-être parce qu’il était… imparfait. Comme tout le reste.
- Oui, ce monde est imparfait. Le réformer est nécessaire. La simplicité de la vie est en faillite. Il est nécessaire de revoir les choses différemment. Cependant, je ne pourrais y arriver seul. Regis Thomas était solitaire. Il a accompli énormément de choses, mais n’a pas réalisé tout ce qu’il voulait. Il m’est donc nécessaire de m’entourer. Afin de préparer mon projet je devrai faire des concessions, c’est un fait.
Ainsi, l’aventure de l’homme commença lentement. Il ne comptait pas réaliser de massacres stupides. Il ne fallait pas que sa stratégie soit irréfléchie. Fondre sur chaque population, puis les écraser n’aurait que peu de sens. La destruction dénuée de logique le rendrait trop connu. Il serait rapidement bloqué et ses projets ne pourraient point se concrétiser. La réflexion de son projet devait lui prendre un certain temps. Plus il réfléchirait à son projet, mieux il se déroulerait.
L’idéal serait donc de se camoufler, recruter des individus partageant sa vision d’un monde imparfait. Petit à petit, ils pourraient tous centrer leurs objectifs sur ce renouveau du monde. Il fallait pouvoir récupérer suffisamment de puissance avant d’agir. La tête de l’homme ne devait pas être mise à prix ou à petit prix, afin de se fondre dans la masse.
Cependant, rechercher des armes antiques ou de la puissance risquait d’en faire une cible logique. Alors, durant une année il prit le temps de monter son projet aux côtés de Shingen. Il ne savait pas encore comment il raserait complètement la moindre formes de vie, mais il commencerait par celles qui gênaient le plus. Il n’y aurait pas réellement de point de départ, d’île de départ. La mise en place du premier assaut paraîtrait logique.
Pour l’instant il jouerait donc les chercheurs, les aventuriers. Il mènerait des individus à lui, il commencerait à chercher les armes antiques ou leur piste, passant pour un simple aventurier. Il serait nécessaire de cacher son aptitude à la lecture des écritures anciennes. Il ne serait révélé qu’à ceux pouvant les lires ou aux individus de confiance.
L’année écoulée se résuma donc à des voyages, parfois avec Shingen, parfois sans lui. Durant cette année de creux, il décida de marquer son corps d’une flamme, représentative du brasier qu’il serait pour le monde. Par la suite vint l’acquisition de son sabre. Son apparence disgracieuse lui donnait l’air d’une arme monstrueuse, pourtant, à bien la regarder elle ne semblait pas si excellente….
C’est désormais ce démon cornu qui avançait dans ce monde qu’il comptait changer.
«Ne passe pas trop à essayer d'être ce que tu n'es pas, car tu finiras par croire que tu l'es vraiment. Accepte la fin de quelque chose pour en construire une autre.»
∟William Kalubi Mwamba.
Chapitre 7 : Ipséité
L’histoire revenait ainsi dans le présent….
- C’est après cette rencontre que j’ai entrepris de devenir plus fort. Mon besoin de recréer un monde meilleur était devenu ma priorité. Je ne savais point si Thomas m’aurait compris. Néanmoins, il m’avait demandé de vivre ma vie selon mes objectifs personnels et c’est ce que je comptais faire. Alors, malgré mon imperfection, il ne pourrait que me comprendre.
Sortant de la grotte où il se terrait avec son comparse, Shisen laissa le soleil toucher sa peau. En quelques pas il vint se baigner dans les rayons salvateurs de l’astre divin. Son regard se posa sur l’ensemble nuageux tapissant le ciel bleu et ses paroles vinrent à raisonner en ces lieux.
- Peut-être aurais-je dû être un lithopédion. Mort au sein même de ma mère, ma vie aurait été plus simple. N’existant que quelques mois, j’y aurais trouvé une mort indolore, mais une vie de quiétude. Personne n’a déjà rêvé de naître… Perdu dans le vide, ma mort n’aurait été qu’un doux néant.
Alors il dégainerait son sabre, le regarderait, puis soupirait.
- Désormais doté de la vie, je me dois de profiter de celle-ci. Toutes ces vies inutiles et vaines de sens doivent prendre fin. Le monde doit repartir à zéro. Notre secret Shingen… Notre talent commun, cette lecture des écritures anciennes. Elle devra nous transporter vers un monde nouveau. La découverte des armes antiques, c’est par cela que passera la recherche de la paix.
La main du démon viendrait relever la pointe de la lame vers le soleil, les rayons se réfléchissant sur celle-ci.
- La douleur brute ne me fait plus rien, la faim ne fait plus effet. Je ne ressens plus rien lorsqu’une vie s’éteint… Kokushibo… Qui étais-tu réellement. Derrière cette histoire que j’ai apprise sur toi. Qui étais-tu ? Forgeron ? Père ? Guerrier ? Dépressif ?
Entre les mains du démon ne trônait pas une arme forgée par Kokushibo, mais bel et bien une reproduction. Il en avait vu quelques dessins dans certains livres et fit construire une arme plus ou moins identique en fer. Elle n’était pas particulièrement étonnante, mais surprenait par les yeux multiples qui s’y trouvaient.
- Les secrets du monde nous appartiendront. La paix naîtra de notre désir unique.
Fermant les yeux, le brun rangea son arme, laissant le souffle de la nature caresser sa peau.
Presque innocemment, un oiseau vint se poser sur son épaule et le brun alla le cajoler avec un sourire léger. Le monde était magnifique. Shisen le considérait réellement. Le monde était beau et il voulait le voir grandir encore. Il voulait que ce monde puisse s’étendre vers de nouveaux horizons. Des horizons qui ne pourraient que lui faire du bien.
- Humanité, je te ferai pleurer. Toutes les larmes de tes êtres m’appartiennent désormais.
La lame se rangea alors dans son fourreau et les yeux se firent étincelants.
- Parce que je suis Regis Thomas.