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[FB] De la chair à l'âme.
Jiva
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Mar 23 Mai - 22:39

De la chair à l'âme

Noyée dans les ténèbres d'une énième narcose, mon esprit se retrouvait pris en étau par un silence lourd et oppressant. La mécanique de ma pensée était engluée par la noirceur environnante qui menaçait de me consumer en un seul instant. J'étais seule, drapée de cette brume opaque pleine de vide. Cet obscur panorama fut subitement déchiré par un signal. La brèche, aussi fine fut-elle, était suffisamment ample pour laisser plusieurs mots me parvenir. Néanmoins ceux-ci s'étouffèrent avant même de naître. Et le brouhaha débuta. Cette tonalité numérique éclata alors une nouvelle fois, griffant dans un écho-suraigu ce qu'il restait de l'épais voile sombre me recouvrant. Un amas de lumière artificielle heurta de plein fouet mes paupières avant que le son n'explose à nouveau dans une subite inhalation. Ma cage thoracique se souleva abruptement quand mes poumons se gorgèrent d'oxygène. Les rouages de mes pensées se débloquèrent, s'entrechoquèrent au gré du signal sonore qui tourbillonnaient encore et toujours dans une cadence frénétique allant crescendo. Le brouhaha prit l'ascendant tandis que le séisme initié par le témoin sonore se délogea dans ma poitrine. Les tremblements pulsèrent à partir de ma pompe organique, ils se propagèrent dans tout mon corps par le biais de simples globules rouges. Le sang afflua à mes tempes tandis qu'une vive douleur vint m'ébranler, rompant ainsi l'accalmie dans laquelle je m'étais jusqu'alors réfugiée.

Les volets de mes yeux s'ouvrirent, mes iris se rétrécirent face à la violence de l'assaut lumineux. Mes expirations s'écourtèrent, j'aspirais par grande bouffée cet oxygène en bouteille desservi par le foutu masque triangulaire scotché à mon visage. Ma vision tout juste retrouvée se brouilla encore plus qu'elle ne l'était. Mes yeux fous fusillaient la salle, je ne vis rien si ce n'était du blanc. Il me fallait un point d'ancrage, quelque chose d'autre que ce sinistre blanc maculé. Là, dans le coin de mon champ de vision, je la vis. Une silhouette noire découpait l’infâme pureté des lieux, absorbant tout sur son passage, captivant le peu de mes pensées. Mon regard parcourut cette chose jusqu'à discerner plus précisément ses traits, à réaliser une mise au point. Mes lèvres asséchées se détachèrent alors dans un souffle atrophié, le flux et reflux d'oxygène cessa. Un amas amorphe de sons s’emmêlèrent dans mes oreilles si bien qu'ils constituaient deux boules quies altérant mes sens. Les différents grains de sable ne pouvaient plus rejoindre le fond du sablier, ils s'écrasaient mollement sur le bouchon sonore obstruant le diaphragme. S'ensuivit une angoissante suspension de l'écoulement du temps.

Dans ce temps mort je décelai l'opportunité de finalement entrer en contact avec lui. Imprégnant le peu de force que je possédais en ces instants, je voulus lever l'une de mes mains vers mon ancre afin d'attirer son attention. A ma grande surprise, mes doigts n'apparurent guère dans mon champ de vision embrouillé. Je ne le ressentis que maintenant, remuée par un bruit qui résonna dans toute ma boite crânienne. Il s'agissait d'un tintement métallique qui m'arracha encore un peu plus à cette ivresse cotonneuse. Ainsi ma tête se redressa, toute tremblante. Elle était lourde, douloureuse et constituait un poids duquel je souhaitais me débarrasser. Soudain, lorsque j'aperçus le bracelet retenant mon poignet à la rambarde d'un lit, un homme vêtu de blanc se pencha vers moi. Son regard dénué de vie transperça mon visage. Ses lèvres charnues s'entrouvrirent, un épais filament de salive les reliait, il détacha alors chaque syllabe. Chaque mot, prononcé d'une voix mécanique, fractura ma faible protection auditive.

-Madame, vous m'entendez ? Si vous m'entendez clignez deux fois des yeux.

Le témoin sonore s’accéléra, la pièce se mit à trembler tout en entier. Elle vacillait, se renversait. Mes inspirations et expirations s'écourtèrent. L'odeur du masque rongeait avec ferveur mes parois nasales puis s'attaqua à ma gorge toute entière. Les sons virèrent aux aigus, mes tympans vibraient, ils étaient sur le point de céder. Ma poitrine se comprima sous cette pesante atmosphère, puis la tête disparut subitement de ma vue. Des gouttelettes écarlates giclèrent. Le plafond se volatilisa, blanc devint noir. Le froid planta ses crocs dans ma frêle chair, j'étais en chute libre. Puis je les vis, et la chaleur naquit au fond de mon être. Ces deux billes sombres figées dans leurs orbites, séparées d'une mèche ténébreuse valsant librement sur un front pâle : les meurtrières d'une âme nouvelle et pourtant si familière.

Mon âme.



Jiva
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Mar 18 Juil - 16:51

De la chair à l'âme

Depuis notre départ du Royaume de Luvneel, Judal et moi pûmes faire plus ample connaissance, même si notre lien demeurait assez ténu. L'être mystérieux que j'avais trouvé assis en tailleur sur le pont du navire s'avéra bien plus loquace une fois loin de son île de provenance, loin de son maître. Je vis en lui l'opportunité de détourner un pion d'autrui, il me permettrait d'avancer vers mon but plutôt que de me mettre des bâtons dans les roues. A ma grande surprise, le jeune homme au teint basané me révéla maintes choses dont quelques de ses ambitions. Peut-être me mentait-il afin de mener à bien le job que son patron lui avait donné, mais ce qu'il racontait s'avéra suffisamment intéressant pour que je le garde à mes côtés. Il constituait une encyclopédie sur pattes, un amas d'informations qui me suivrait à partir de ce jour. D'après ses dires Aben'Gal n'était que la base sur laquelle l'espion se construisit. Il comprit grâce à ce mentor que l'information était l'une des choses les plus importantes dans notre bas monde. Et, de ce qu'il apprit en de longues années à exercer sa profession, celle-ci reposait entièrement sur les contacts que l'on possédait. On retombait en quelque sorte dans ma définition du pouvoir, il s'agissait d'une chose qui émanait de toute relation liant deux termes. Peu importait la nature de cette relation, d'ailleurs, mais là était un sujet sur lequel je ne voulais débattre avec l'homme aux lames bleues fichées dans les yeux. Selon lui son boss disposait, par le biais d'un bon nombres d'hommes de mains, de contacts dans toutes les strates de la société de North Blue. Du plus vulgaire des voyous au plus puritain des nobles : tout y passait.

Ainsi des types comme mon nouvel acolyte se situaient toujours à la lisière entre le bon et le mauvais, voire l’exécrable. C'était dans le second point que résidait tout mon intérêt. Les grands de notre monde qui surent s’élever par leur seule stratégie, aussi inhumaine fusse-t-elle, méritaient d'être profondément respectés. M'importait peu le fait de savoir combien de fois ils avaient violé la futile morale de la société, s'ils laissaient dans leur sillage que souffrance, pauvreté ainsi que la mort. Nous, habitants de l'underground, ne connaissions plus les notions de bien et de mal qu'avait instituées cette société. Cette moral, ce discours impératif, n'avait guère sa place ici. La loi ? Des textes rédigés par des types potentiellement plus stupides que moi : j'en avais plus rien à faire. Le trône et seulement le trône me dictait ma ligne de conduite désormais. Et quelle ligne de conduite ? Aucune voie n'était définie, il s'agissait de la créer soi-même dans les ténèbres immuables et fascinantes de mon nouveau monde. Tracer une ligne reliant deux points, mon être à un siège. Autrement dit, j'avais carte blanche et le jeune hors-la-loi que j'étais comptait bien déployer toute sorte de moyen pour parvenir à cette exquise fin.

Un heurt m'arracha à mes réflexions, la porte de mon bureau laissait passer la voix d'un sous-fifre. Nous venions d'arriver à bon port. De suite, je saisis mes affaires entassées dans mon sac cylindrique puis me levai d'un coup. A ce signal le regard de Judal se détacha de la toile d'informations que nous avions tissée ensemble au cours de notre périple, il vint me rejoindre au seuil de la porte. Le visage fermé, j'abaissai cette foutue poignée pour débouler sur le pont du navire subtilisé à Ren Tao, nous pûmes alors découvrir un panorama de la ville depuis notre actuelle position. L'astre solaire était masqué derrière un amas de nuages formant un voile grisâtre. Quelques de ses rayons étaient néanmoins filtrés par cette fine couche nébuleuse. Ils vinrent s'abattre sur l'île pour ainsi grimer la pléthore d'immeubles, tous décrépits et de tailles inégales, d'une aura ocre.

-Monsieur Ouri ?

Mes yeux se posèrent sur la petite silhouette en contrebas, un gamin s'était détaché de la foule environnante, massée sur le quai, et se tenait droit comme un i au niveau de la débarcadère. Judal opina du chef et me convia à descendre fouler le dallage du quai, un bond nous suffit. Je me redressai puis examinai le mioche dans toute son ampleur, Judal lui tendit une main que l'enfant s'activa à serrer. Leur peau possédait la même couleur. Il était affublé d'un t-shirt blanc bien trop large, jaunâtre de saleté à quelques endroits, ainsi que d'un pantalon noir rapiécé. Le gosse ouvrit sa bouche, laissant apparaître sa dentition de la même teinte que son haut, il prit alors la parole d'une voix enjouée.

-Moi c'est Omar, je serai votre guide durant votre séjour. Aben'Gal n'est pas là ?

Omar fit valser quelques de ses dreadlocks en s'inclinant brusquement sur la droite. Il contemplait le vaisseau naval duquel il s'imaginait voir débarquer Aben'Gal. Après quelques secondes à se triturer le menton, il remarqua ma présence aux côtés de Judal lorsque je me rapprochai de lui. Son attention se reporta alors sur ma personne, ses iris se dilatèrent quand je me postai face à lui.

-Il ne viendra pas, je le remplace... en quelque sorte.
-Le mioche arqua un sourcil. Je m'abaissai à son niveau avant de lui présenter ma main - Je suis Fudo. Enchanté, Omar.


Jiva
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