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[FB -1501]Un lion ne s’attrape pas avec une toile d’araignée. Un porc, si.
Kokuro Elina
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L’araignée patientait à une table, assise sur un coussin confortable dans une salle richement décorée. Le salon de thé pouvait au moins se targuer de faire étalage de l’opulence du patron. Pour ce qui était de la qualité du service, en revanche, Elina était bien moins convaincue. Elle portait une robe en soie noire confectionnée grâce à son fruit du démon, mais sa mine irritée jurait avec la richesse du tissu. Tambourinant des doigts sur le bois vernis, la jeune femme se remémora son arrivée sur cette petite île perdue de North Blue. Elle avait assassiné la famille Giabor à peine une semaine auparavant, et en gardait quelques séquelles avec des douleurs persistantes dans tout le corps. Au décours de cette mission, elle avait stupidement accepté de se laisser guider par ce rat de Doburo Gaimo hors du royaume de Luvneel. Le bateau dans lequel elle avait voyagé deux jours durant été rempli de jeunes gens aux allures misérables. En quelques conversations savamment dirigées, Elina avait découvert la triste vérité : elle cheminait avec des esclaves. De ce constat, son esprit prudent en était arrivé à la conclusion désagréable que Doburo Gaimo s’était joué d’elle et avait prévu de la vendre comme un vulgaire objet, elle aussi. Ce misérable vers de terre paierait plus tard pour cette trahison, elle s’en était faite la promesse !

Arrivé à bon port, elle avait réussi à fausser compagnie au reste de la troupe en se transformant en Nephila, puis avait erré sur l’île depuis. La bonne nouvelle était qu’elle avait vu juste et avait échappé à une vie de servitude. Elle qui détestait l’esclavage, sans doute le seul trait à peu près moral de sa personnalité, n’aurait pas supporté cette condition bien longtemps. La mauvaise, en revanche, était qu’elle ne pouvait pas quitter l’île avant un certain temps et que, depuis qu’elle avait débarqué, ses sens arachnéens lui criaient qu’elle était en danger. La Zoan se sentait effectivement observée, suivie, aussi s’affichait-elle la plupart du temps dans des lieux publics avec de multiples portes de sortie.


- Pardon pour l’attente, madame !


Bien qu’elle l’ait entendu arriver de son pas balourd, le serveur la fit sursauter à cause de sa voix de crécelle. Il commença à servir gauchement un thé dans une tasse sale... et la cliente n’eut pas même besoin de goûter le breuvage pour se rendre compte qu’il était froid ! Respirant calmement, l’araignée demanda au garçon de lui amener son responsable qu’elle houspilla vertement. Sa mauvaise humeur et le stress de se savoir surveillée la rendait agressive. Mais l’incompétence totale du jeune serveur avait le don de l’agacer ! Le tenancier, un grand escogriffe à la chevelure noire huilée, se confondit en excuses mielleuses, tandis que son langage corporel suggérait qu’il espérait qu’Elina s’étoufferait avec son thé la prochaine fois. Nonobstant ses pensées profondes, le chef de l’établissement alla chercher un autre serveur. Les deux hommes laissèrent donc la jeune cliente revêche seule dans la salle privative qu’elle avait louée.

Fort heureusement pour elle, Elina n’avait pas perdu ses bonnes habitudes. Elle avait donc réussi à dérober une bonne quantité d’argent depuis son arrivée sur l’île, les rares fois où elle arrivait à semer cette lourde sensation d’être surveillée. Elle soupira et s’accouda à la rambarde en bois doré pour observer le cerisier qui poussait à quelques pas de là, au sein d’un jardin floral qui dégageait un doux parfum de printemps. Seul point positif de cette ile : le climat sans doute plus hospitalier que le reste de North Blue. Quelqu’un frappa à la porte coulissante, avant que celle-ci ne glisse dans un bruit feutré. La Zoan laissa couler son regard en direction de l’entrée.

Son cœur manqua un battement.

Une jeune fille d’environ seize ans entrait, parée d’un riche kimono bleuté aux motifs floraux. Ses yeux noisette sourirent avant que sa mince bouche ne s’étire à son tour pour illuminer son visage délicat. La serveuse avait arrangé ses cheveux blancs en un chignon savamment retenu par une épingle ravissante. Chaussées de Zoris, elle portait un plateau où elle avait disposé tout le nécessaire pour préparer un thé de qualité, qu’elle posa d’un geste gracieux sur la table avant de s’incliner. En relevant le buste, elle enchanta Elina de sa voix d’une douceur incomparable :


- Toutes mes excuses pour cette attente, chère cliente. Je serai votre serveuse aujourd’hui.


Un ange venait d’entrer dans la pièce.

Tout à fait incapable de détacher son regard de l’adolescente, l’araignée répondit d’un simple hochement de tête, sa mauvaise humeur envolée. Pour la première fois depuis qu’elle avait posé le pied sur cette île, ses sens arachnéens se relâchèrent. D’un œil pétillant, Elina regarda la jeune fille débuter une cérémonie du thé parfaitement maitrisée. Bien plus que son charme ou sa douceur, la Zoan avait repéré quelque chose d’ineffable. La maudite avait presque la sensation d’être illuminée, réchauffée de l’intérieur en pareille compagnie. Elle comprit enfin que cette petite avait un potentiel incroyable. Cet état de grâce disparut aussi brutalement qu’il était apparu, au moment même où elle posa son regard sur les poignets de la serveuse. Des bracelets métalliques lourds et disgracieux lui enserraient les membres.

Les chaines d’une esclave.

Toute chaleur quitta instantanément le corps de l’araignée. Ses entrailles se roidirent, tandis que son cœur battait d’une colère sourde. Un tel petit ange ainsi mis aux fers ? C’était inacceptable ! La maudite se crispa légèrement et, contre toute attente, la serveuse s’en rendit compte. Reprenant ses vieilles habitudes, Elina se composa un visage neutre, mais la petite esclave ne semblait pas idiote :


- Auriez-vous besoin de quelque chose d’autre, chère cliente ? demanda-t-elle l’air de rien.
- Non. Tout est parfait. Merci.


Alors que la jeune fille se levait pour partir, Elina la retint en levant légèrement la main. Elle se racla la gorge avant de reprendre la parole :


- J’apprécierais beaucoup que vous restiez partager ce thé avec moi.
- Toutes mes excuses, chère cliente, je ne suis pas autorisée à...
- Je paierai votre patron pour le dérangement et votre « inactivité », trancha l’araignée.


Le petit ange ne semblant toujours pas convaincu, voir effrayé, Elina fit revenir le patron. Ce dernier lui adressa un sourire affable, tandis que ses yeux lui souhaitaient tout le malheur du monde. Lorsqu’il comprit la demande inhabituelle de la cliente, sa seule préoccupation concerna les honoraires qui lui seraient attribués. Un homme tout aussi méprisable que l’araignée l’avait imaginé. En quelques instants, l’être cupide fut comblé et repartit sans un mot de plus, son argent en poche. Mal à l’aise, la petite serveuse resta plantée sur les tatamis, n’osant ni s’asseoir ni regarder Elina. Cette dernière ne put s’empêcher de sourire devant tant de timidité et l’invita d’un geste à prendre place sur un coussin. L’adolescente s’exécuta prestement et s’assit comme une geisha, regardant partout sauf dans la direction de la Zoan. Alors que cette dernière s’imaginait que la situation ne pouvait pas être plus aux antipodes de ce qu’elle avait souhaité, elle vit la jeune fille sursauter. La petite écarquilla les yeux et plaça une main menue devant sa bouche horrifiée, avant de pointer du doigt le sol à côté d’Elina.

L’assassin reporta son attention dans la direction indiquée et, avec stupeur, y découvrit une araignée. Sous l’œil estomaqué de la jeune esclave, la maudite tendit son doigt pour que l’arachnide s’y loge et la détacha en douceur des tatamis. Reportant son attention vers la serveuse, Elina lui demanda soudain :


- Comment t’appelles-tu, jeune fille ?
- Je... commença l’intéressée, pas du tout rassurée. Je n’ai pas de nom... chère cliente, rajouta-t-elle bien vite.
- Tu peux m’appeler Elina et arrêter de t’embarrasser avec ces « chère cliente ». Comment se fait-il que tu n’aies pas de nom ? Tes parents ne t’en ont-ils donc jamais donné ?
- Nous sommes orphelins, mon frère et moi. Nos maitres ne nous en n’ont jamais donnés.
- Et comment t’appelle ton frère ?


La jeune fille la regarda comme si elle venait de manger l’insecte gigotant sur son doigt, puis répondit en rougissant :


- Seika.
- Une petite fleur sauvage ? C’est charmant.


Après un bref silence Elina reprit, tout en montrant à l’adolescente son doigt où était juchée l’araignée :


- La peur et l’aversion vouées à ces petites créatures est totalement injuste, Seika. On appelle cette espèce-ci « Onigumo », c’est une chasseuse solitaire qui, à l’instar de ses congénères, participe à l’extermination des nuisibles comme les sauterelles, les blattes, les mouches et bien d’autres.


La principale concernée ne semblait pas comprendre où voulait en venir la cliente décidément très étrange qui jouait avec un insecte dangereux et hideux de son point de vue. Elina reprit néanmoins :


- Les araignées ne s’attaquent pas à l’homme sans une bonne raison, Seika. Et quand bien même celle-ci te mordrait, elle n’est pas dangereuse pour nous. En revanche, elle participe à la bonne tenue de ta literie en évitant que d’autres insectes ne l’envahissent. Malgré son aspect repoussant, il est important de ne pas l’oublier.


Alors seulement, la Zoan fit tomber l’araignée dans le jardin et l’insecte disparut bien vite dans la végétation. Seika sembla prise de court lorsque sa propre cliente lui servit un thé et le lui tendit. On ne lui avait, de toute évidence, jamais appris comment se comporter face à ce genre de situation et son lourd passé d’esclave l’inhibait fortement. Cependant, la petite fleur semblait pleine de ressources et reprit bien vite une expression plus maitrisée, avant de se saisir délicatement de la tasse tendue.


- À présent raconte-moi votre histoire, à toi et à ton frère. Le sujet m’intéresse beaucoup.


Tout d’abord sidérée, Seika reprit peu à peu contenance et s’exécuta. Dans un premier temps hésitante, elle se détendit progressivement. Peu à peu, les deux femmes commencèrent à discuter posément en buvant un thé à la rose délicieux. Elles apprenaient à se connaitre comme deux êtres humains... et non pas comme une femme libre et une esclave.






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Sam 17 Sep - 18:45
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Voilà plusieurs jours qu'Elina fréquentait le salon de thé. Les rumeurs de vols multiples secouaient l'ile et les autorités locales, qui n'étaient autre que la mafia, se mettaient en branle pour coincer l'auteur de ces crimes. Pour l'heure, la voleuse en question sirotait paisiblement un thé au jasmin en compagnie de Seika. Elle louait inlassablement la même salle privative et l'esclave auprès du patron qui, devant les sommes laissées par l'araignée, s'était peu à peu adouci. Contrairement à lui, la petite esclave semblait renfermée aujourd'hui et n'avait toujours pas touché à son thé. Elle qui s'était ouverte peu à peu à la Zoan, trouvant enfin une confidente un peu moins brusque que son frère, venait de réaliser un bond en arrière. Son frère, d'ailleurs, parlons-en. Shiro, grand gaillard de plus de deux mètres aux allures de brute écervelée, ne voyait pas d'un bon oeil l'araignée. Cette dernière ne comprenait pas l'origine d'un tel ressentiment, mais à dire vrai seule sa soeur l'intéressait. Et elle n'avait pas terminé de l'évaluer.

La petite débordait de douceur, avait du cran, un esprit vif et curieux, mais également des manières irréprochables. De son côté, son ainé était bien plus farouche et enclin à user de la violence tant verbale que physique. Cependant il était contraint de laisser sa soeur contenter les clients du salon de thé et en était donc réduit à monter la garde et servir de videur. Revenant à la situation présente, Elina approcha doucement son doigt du front de Seika, avant d'y imprimer une légère poussée pour sortir de ses songes la petite fleur :


- Et bien ? On dort aujourd'hui ?
- Pardon... répondit distraitement l'intéressée. Je...


L'adolescente semblait totalement déboussolée, voire paniquée. Elina tenta de lui redonner un cadre propice à la discussion :


- Raconte-moi, Seika.
- Je... hésita-t-elle un court instant, avant de céder. Je vais avoir seize ans demain. Shiro et moi allons donc être transférés dans... dans...


Ici la jeune fille déglutit avec difficulté, avant de retenir un sanglot. La bonne humeur de l'araignée s'effrita. Cette dernière plissa les yeux lorsque Seika déclara de but en blanc :


- Ils vont nous vendre dans un bordel.


La phrase tomba, tel le couperet sur une nuque tendue. Un silence pesant s'empara de la salle, tandis qu'Elina reposait sa tasse pour écouter la sinistre histoire. Le maitre du bordel, un dénommé Matsuda, était un obèse qui possédait l'exclusivité des plaisirs de la chair sur cette petite île. Il avait donc fait fortune en collectionnant des filles dès leurs seize ans et payait de fortes sommes pour maintenir le statut-quo. Il avait apparemment le soutien de la mafia et de certains autres pontes de North Blue auxquels il envoyait de temps à autre des « cadeaux ». Shiro, quant à lui, avait été acheté grâce à sa carrure impressionnante, afin de maintenir les jaloux à l'écart en compagnie d'un autre garde du corps. La petite fleur tomba en larmes et Elina s'approcha pour lui prêter une épaule où pleurer. L'entrevue fut soudain écourtée lorsque la porte coulissa brusquement. La Zoan jeta un regard noir à la personne qui entrait, pour rencontrer des prunelles d'acier.

Devant elle se tenait un homme grand, vêtu d'un kimono de combat bleu et d'un haramaki blanc en travers duquel il avait passé un katana richement décoré. Derrière lui se tenait l'homme le plus gras qu'il est été donné de voir à l'araignée, emmitoufflé dans une robe jaune, en sueur, ceint de toutes parts de bagues, bracelets et bijoux ostentatoires, il clopina aux côtés de son garde du corps. Derrière ce duo atypique se tenait Shiro, la machoire crispée et l'oeil vide. L'homme obèse prit la parole immédiatement d'une voix doucâtre :


- Oh oh oh ! Mais que voilà un spectacle plaisant ! On m'aurait offert deux lots pour le prix d'un ? Charmant minois, mais il va falloir travailler ton sourire si tu veux attirer le client, petite brunette.
- M-Monsieur ! Il s'agit d'une cliente et non pas... commença le patron du salon de thé.
- Hmmm ? releva d'un air étonné l'homme ventripotent. Et alors ? On pourrait l'emmener également, hein, Yoshimura ?
- Si tel est votre désir, patron, répondit d'une voix placide l'épéiste.


Elina avait senti Seika se crisper et, d'un regard, lut la terreur sur tout son visage. Elle posa une main réconfortante sur sa sa joue tout en se levant, avant de faire face aux deux ignobles personnages. D'une voix claire, elle lança au visage de ces chiens ce qu'elle pensait :


- Je doute que vous puissiez emmener quiconque bien loin, esclavagiste.
- Oh oh oh ! De la répartie avec ça ! Dis moi ton prix, ma mignonne ? Je suis sûr qu'on pourra s'arranger pour nous faire gagner beaucoup d'argent à tous les deux ! Oh oh !
- Surveillez votre langue, porc ! assenna avec violence la Zoan dont le sang commençait à bouillir. Tout du moins si vous désirez la garder.


À ces mots, le bretteur mit la main à la garde de son katana et prit une position de combat. Le sourire du dénommé Matsuda s'étira d'avantage, avant qu'il ne reprenne d'une voix suffisante :


- Des menaces creuses, oh oh ! Ces deux objets...
- Êtres humains, corrigea l'araignée d'un ton glacial.
- ... m'appartiennent de plein droit, continua Matsuda sans se laisser intimider. Il ne tient qu'à toi de ne pas finir dans le même sac qu'eux. Ecarte-toi. Si je le désirais, tu disparaitrais de la circulation aujourd'hui même sans que personne ne s'en aperçoive.


Avant que les choses ne s'enveniment, Seika désamorça la situation et s'avança de son propre chef aux côtés de cet homme immonde. La tête basse, les épaules affaissées et le nez rouge, la petite fleur jeta un regard en biais en direction de la Zoan, avant d'être embarquée par les deux hors la loi. Avant de partir, l'homme obèse lui adressa un signe de la main et un sourire moqueur, puis disparut dans le couloir. Les poings serrés et la machoire contractée à son maximum, Elina fulminait. Le patron du salon de thé s'éclipsa sans un mot. Loin de s'avouer vaincue, la jeune femme suivit à bonne distance le groupe jusqu'au fameux bordel. Puis, ses sens arachnéens ne lui envoyant aucun signal de danger, elle repartit en quête de Berrys à voler. Elle avait un énorme besoin de liquidité et un sinistre achat à régler.


Quelques jours plus tard et une bourse bien remplie de Berry en poche, l'araignée se dirigea en direction de la maison close de Matsuda. La neige commençait à tomber en cette froide soirée, aussi des hommes étaient-ils en train de déblayer la devanture de l'établissement malsain. Tous portaient des chaines. Elina respira prodondémment, puis passa le perron de la porte. Immédiatement, elle tomba face à Shiro qui écarquilla les yeux en la voyant arriver. Sans lui laisser le temps de réagir, la femme d'affaire lui demanda de lui indiquer le bureau de Matsuda. Comme le colosse ne réagissait pas, ce fut un autre employé qui la conduisit auprès de cet homme répugnant. Il l'accueillit dans une pièce décorée avec tant de mauvais gout que l'araignée en eut la nausée. Tableaux obcènes, tentures de soie multicolores, dorures, pierres précieuses... Il ne se refusait rien. Réprimant ses envie d'étrangler ce hors-la-loi obèse, Elina ne chercha pas à faire des rond-de-jambe :


- Je suis ici pour acheter les deux esclaves aux cheveux blancs.
- Oh oh ! Voyez-vous ça ? Vous qui jouiez la sainte il y a de ça quelques jours désirez acheter mes marchandises à présent ? Je vous comprends ! La petite dispose d'un charme envoutant et d'un don pour...
- Epargnez-moi vos façondes de marchand, le coupa Elina d'un ton tranchant. Votre prix ?


Le maitre des lieux lui sourit d'un air mauvais, avant de presque s'esclaffer :


- Vingt millions de Berry, par esclave.
- C'est grotesque ! s'écria Elina.
- Des lots de si bonne qualité valent chaque centime de ce que je vous demande. C'est à prendre ou à laisser.


Son sourire venimeux plissa un peu plus son visage lunaire, lorsqu'il reprit d'une voix doucereuse :


- Mais sans doute désirez-vous essayez ce lot, avant de vous décider ?


Elina crut bien qu'elle allait écharper ce porc sur place, mais respira profondément en fixant d'un air assassin ce marchand abject. Elle n'avait pas la somme requise. Loin s'en fallait ! Selon les renseignements qu'elle avait extorqués au patron de la maison de thé grâce à un pot de vin, Matsuda les avait payé dix millions de Berry, en tout et pour tout. La somme qu'il demandait n'était sans doute que le résultat de leur précédente altercation. Elle n'avait amassé que quinze millions avec difficulté... Elle n'avait pas les moyens de payer, et il le savait pertinément.


- Combien pour une nuit entière avec Seika, finit par déclarer Elina à contre coeur.
- Deux cent mille Berrys. Elle est très demandée vous comprenez ?


Résistant à l'impulsion soudaine de lui arracher la tête, l'assassin se contenta de lui jeter la somme sur son bureau avant de sortir d'un pas furibond. Un homme de main, tout sourire, tenta de lui poser la main dans les lombes pour l'accompagner, Elina l'arrêta d'un geste et le foudraya du regard avant de lui asséner :


- Que ta main m'effleure, et ce sera la dernière chose qu'elle touchera.


D'humeur massacrante, la Zoan se laissa guider jusqu'à la chambre de la petite fleur. On lui ouvrit la porte et elle la referma d'un geste rageur. À peine avait-t-elle terminé ce mouvement que ses sens arachnéens lui vrillèrent le crane. Elle esquiva un coup de baton et attrapa d'un geste agile le bras qui le tenait. Un moment de flottement passa, lorsque les deux jeunes femmes se reconnurent. Seika lâcha son arme, un simple pied de chaise qui tomba à terre, et se recula précipitamment dans un coin de la salle. Ses yeux rouges et son maquillage grossier qui avait coulé confessèrent ses pleurs récents. Lorsqu'Elina tenta de s'approcher, elle se recroquevilla comme un animal en détresse. La Zoan suspendit son geste. Elle ouvrit la porte et demanda du thé qui lui fut apporté en quelques instants, avant qu'elle ne referme le battant coulissant d'un geste sec, non sans ordonner qu'on ne la dérange sous aucun prétexte avant l'aube, vu le prix qu'elle avait payé.

Lentement, l'araignée s'approcha de la jeune fille puis s'assit à même le sol, le plateau entre elles. Elle leur servit un thé à chacune et commença à boire, sans un mot. Le silence pesant se prolongea, seulement rompu par les tintements de la tasse et les bruits de la maudite qui buvait. Au bout de plusieurs minutes Seika, qui n'avait toujours pas dit un mot, finit par sécher ses larmes et se pencher pour attraper sa tasse.


- Si tu me la lances à la figure, j'irai simplement t'en chercher une autre, Seika, la mit en garde Elina.


Incrédule, la petite resta tout d'abord interdite, puis émit un bref rire de nez avant de se saisir de son thé et de le boire à petites gorgées. Posément, Elina entreprit de rassurer la jeune femme en la plaçant dans le même contexte que lors de leurs entrevues précédentes. En vain. La petite ne resta muette, les yeux rivés au sol, l'air perdue. Soudain, elle lança d'une voix sombre :


- Pourquoi est ce que vous êtes revenue ?
- Bois ton thé, Seika, et enlève moi ce maquillage ridicule
- Je dois le garder avec les clients et...
- Je ne suis pas une cliente. Enlève-le, trancha Elina d'une voix sans appel en lui jetant une serviette.


La petite s'exécuta et, brusquement, la main de l'araignée se crispa sur sa tasse. Sous la tonne de fond de teint se cachait des ecchymoses partout sur son visage. Pire, entre les pans de son kimono, Elina repéra un bandage qui lui ceignait le buste. La petite fleur surprit son regard et resséra son vêtement, avant que la Zoan ne lui ordonne :


- Retire-le.
- Je...
- Retire ce kimono, et montre-moi ton dos.


Un frisson d'horreur accueillit le sombre spectacle, lorsque Seika laissa apparaitre des bandages imbibés de sang par endroit, le long de fines lignes carmins. Elle avait été fouettée. Après l'avoir rhabillée elle-même, Elina écouta la petite esclave lui raconter tout, sans qu'elle ait à le demander. Depuis son entrée dans le bordel, elle avait mordu, griffé et frappé chaque client qui avait tenté de l'acheter pour une nuit. Son frère, qui refusait de lever la main sur elle, avait été battu à de multiples reprises... jusqu'à ce que le samurai, Yoshimura, ne prenne le relai et ne la fouette à chacune de ses incartades. La colère montait peu à peu, comme une marée inexorable qui gonflait la poitrine de l'araignée. Elle stoppa Seika avant qu'elle n'en dise d'avantage et se leva, les yeux ivres de fureur. L'esclave s'aggripa à sa main, en pleurs, la suppliant de ne pas se dresser contre Matsuda et sa clique, de peur qu'elle ne soit tuée. La scène calma en un instant l'assassin. Elle passa une main dans la chevelure immaculée de Seika, avant de lui répondre :


- N'aie aucune inquiétude à ce sujet. Je m'occupe de tout. En attendant va dormir, il ne t'arrivera rien ce soir.


Sur ces mots, la Zoan se plaça à la fenêtre, une tasse de thé fumante dans la main. Ce porc avait décidé de jouer au plus fin avec la mauvaise personne.






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Les jours passaient, tels des cauchemars éveillés pour les deux pauvres frère et soeur. Néanmoins, l'arrivée d'Elina avait quelque peu amélioré leurs conditions de vie. Puisqu'elle payait toutes les nuits avec Seika, et ce depuis une semaine entière, la jeune esclave pouvait non seulement se reposer, mais laisser les froides morsures du fouet loin derrière elle, étant donné qu'elle rapportait enfin de l'argent. Shiro, quant à lui, persistait à ne pas apprécier la jeune femme brune, même s'il ne pouvait nier la légère amélioration qu'elle avait apporté. Cependant, ils étaient toujours esclaves à la botte d'un homme immonde et sous la menace de la lame de Yoshimura. Leur position restait peu enviable.

La situation semblait avoir trouvé un équilibre précaire, jusqu'au jour où leur maitre décida de rompre le statut quo. Près de vingt jours après la fameuse première nuit, Matsuda fit convoquer Seika dans son bureau. Il l'accueillit en robe de chambre rose à moitié ouverte, laissant entrevoir toute la graisse qu'il entretenait. La petite esclave, dégoutée par le spectacle, regardait ses pieds tandis que son maitre parlait. Néanmoins, elle releva bien vite les yeux, pleins d'espoir :


- ...et donc, cette femme est revenue vous acheter aujourd'hui. Je ne l'aurais jamais parié, mais elle a réuni les quarante millions que je lui demandais !


La petite fleur était pendue à ses lèvres, le cœur battant la chamade. Le verrat suintant commença à sourire d'un air mauvais, avant de reprendre :


- Je l'ai bien entendu éconduite. Tu aurais dû voir sa tête ! Oh oh oh ! À l'heure qu'il est, elle doit faire la rencontre de nos amis de la mafia. Qu'elle amasse autant d'argent en si peu de temps, avec toutes ces histoires de vols... bien sûr que c'était suspect ! Oh oh !


Seika se mordit la lèvre et laissa une larme couler le long de sa joue. Mais l'immonde hors la loi n'en avait pas terminé :


- Quant à toi, petite peste, tu vas finir par me rapporter un beau paquet d'argent ! Comme je sais que tu vas recommencer à te débattre, j'ai sauté sur une autre offre qui m'a été faite par un équipage de pirates, hier matin.


Avec un sourire libidineux, le répugnant personnage lança d'une voix graveleuse :


- Ils voulaient savoir si tu étais totalement blanche.


Il s'esclaffa un moment, avant de reprendre sa respiration de manière laborieuse. Il toussa, éructa, puis reprit la parole :


- Tu vas attendre dans ta chambre. On t'amènera ce soir chez tes nouveaux propriétaires. Et qui sait ! Quand ils seront lassés de toi, peut être voudront-ils revenir tirer un bon prix de ce qui restera ?


D'un geste, il la congédia et elle fut escortée dans sa cellule par le samurai. Ce dernier, contre toute attente, ferma la porte derrière lui et s'agenouilla dans un coin de la salle, le regard inflexible. De toute évidence, Matsuda lui avait demandé de la surveiller. Elle se mordit la lèvre et se détourna de lui avant de rejoindre la fenêtre. Dehors, une averse battante secouait l'ile. Elle se laissa tremper un moment, mêlant ses larmes impuissantes aux gouttes de pluie. Son frère passa durant un temps. Elle n'en garda qu'un vague souvenir, totalement déconnectée de la réalité. Elle ne pouvait ni s'enfuir, ni se suicider et, ce soir... elle préférait ne pas y penser. Lorsqu'elle reprit ses esprits, Shiro était parti, mais Yoshimura restait fidèle au poste à la surveiller. Elle baissa la tête et attendit, le cœur lourd.

Le soir venu, Matsuda lui-même vint la chercher, escorté par quatre gros bras. Il portait un costume noir dont les boutons peinaient à resserrer le tissu autour de son corps. Shiro et Yoshimura avaient été réquisitionnés pour protéger leur maitre, car ce dernier attisait la convoitise et les jalousies... ou du moins en était-il persuadé. Durant tout le trajet en direction du port, Seika pleura en silence sous le regard rageur de son frère. Ce dernier avait déjà plus ou moins tenté de se rebeller depuis leur transfert du salon de thé et, en chaque occasion, avait été battu à plate couture par l'épéiste. Il savait qu'il ne pourrait rien faire, et que sa sœur serait encore plus anéantie s'il y laissait la vie en tentant de la secourir. Néanmoins, une furieuse envie de tenter le tout pour le tout le taraudait. Il luttait contre son éducation et toute une vie passée en tant qu'esclave. On avait gravé au fer rouge dans son esprit un ordre depuis son plus jeune âge : ne pas se rebeller contre ses maitres. Même s'il flirtait avec les limites depuis une semaine, il n'arrivait pas à franchir le pas. Malgré toutes ses émotions tumultueuse et la haine envers Matsuda qui l'agitaient, Shiro avançait, tête basse, mâchoire serrée et poings crispés.

Soudain, le samurai arrêta la petite troupe.


- Il y a quelque chose devant... une bête sauvage, j'ai l'impression, déclara-t-il.


D'un geste mal coordonné de son bras adipeux, le maitre obèse ordonna sans se retourner à ses hommes de mains restés en arrière d'aller voir. Comme pas un seul ne répondit à son appel, il se retourna pour les houspiller... et hoqueta de surprise :


- Qu'est-ce que ?!


Les deux frère et sœur se retournèrent et écarquillèrent les yeux : la rue était vide. Pas une trace des gardes du corps ! Ils s'étaient tout bonnement volatilisés ! Mais ils n'étaient pas au bout de leurs surprises.


- DEVANT ! hurla soudain Yoshimura en dégainant son sabre d'un geste fluide.


Shiro se retourna un instant avant Seika, mais tous deux eurent un mouvement de recul. Un monstre immonde venait de faire son apparition. Entre deux rayons de lune, le petit groupe put détailler la bête d'aspect vaguement humanoïde. Des cheveux rouge sang hérissaient un visage anguleux, dont les deux yeux carmins les fixaient avec intensité. Tout le corps de cette atrocité s'était pâmé d'une carapace aussi noire que la nuit, et ses membres se terminaient en griffes aux allures acérées ! La bête s'avança de plusieurs pas dans un silence oppressant. Aucun d'entre eux, hormis Yoshimura, n'osait bouger devant ce spectacle hors du commun. Ce fut seulement lorsque la créature chargea le samurai que les trois autres humains réagirent. L'épéiste esquiva un coup de griffe et contre-attaqua dans la foulée, avant de crier à son patron de s'éloigner pour rejoindre le port.


- Vous deux ! Suivez moi ! leur ordonna Matsuda en sortant d'une poche un énorme pistolet.


Malgré tout leur ressentiment, le conditionnement des deux esclaves les força à obéir face à un ordre direct... et à une arme à feu. Le trio progressa donc aussi vite que possible en direction du port, limité par la faible vitesse du patron.

De leur côté, les deux combattants échangeaient des passes d'armes violentes. Yoshimura envoya soudain plusieurs lames d'air dans le but de déstabiliser son adversaire. Il retint une exclamation de surprise lorsqu'il vit son attaque contrée de la même manière ! Le samurai n'avait jamais entendu parler d'une technique de ce genre au combat à main nue. Il esquiva d'un cheveux un coup de pied vicieux et pirouetta en arrière tout en lançant une attaque en biais. Son épée rencontra le vide et les deux ennemis se firent bientôt face à nouveau. Le bretteur se décala légèrement, de manière à se mettre en travers du chemin si l'immondice en face de lui décidait de poursuivre son employeur. Mais la femme-araignée semblait n'avoir d'yeux que pour lui. Ils se tournèrent autour durant un temps, cherchant une faille dans la garde de l'autre sans un mot.

La Zoan repartit à l'assaut mais, au dernier moment, effectua un piqué en arrière et lança un jet de toile gluant dans les pieds de son adversaire. L'épéiste lut la manœuvre et se dégagea sur le côté. Il fut accueillit par une lame d'air qu'il para, puis il esquiva in-extremis une griffe sensée l'éborgner. Il jura et trancha horizontalement son adversaire d'un mouvement iaï éclair. Le samurai sourit, certain de lacérer le monstre en face de lui à cette distance. Pourtant, la lame balaya l'air et il se retrouva seul dans le petit carrefour. Tout d'abord incrédule, Yoshimura regarda à droite, à gauche, derrière lui, même en l'air et fit un tour sur lui-même. Personne. Il recula de quelque pas, l'épée levée et les sens aux aguets.

Soudain, il comprit : le patron !

Maudissant la lâcheté de son adversaire, il rengaina et se rua à la suite de Matsuda. Il effectua plusieurs bonds très rapides en avant, dans l'espoir de les rattraper. Il fallait qu'il arrive à temps ! Les autres n'avaient aucune chance face à ce monstre !






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Elina jubilait. Tout se déroulait exactement comme prévu. Le samurai avançait vite, très vite même. Dans sa précipitation, il n'avait pas vérifié sa ceinture qui abritait un passager clandestin sous la forme d'une araignée minuscule. À présent, il allait l'amener tout droit à son cher patron qu'il tentait de protéger. Il s'épuisait d'ailleurs à la tache en avançant aussi vite qu'il le pouvait, tandis qu'elle même regagnait quelque peu ses forces. Il faut dire qu'elle avait été passablement occupée ces derniers temps !

Lorsque, le matin même, la Zoan s'était présentée pour l'achat des deux esclaves, elle savait qu'elle serait déboutée. Dans les quelques jours précédents, elle s'était faufilée dans le bureau de Matsuda pour écouter aux portes et avait recueillis plusieurs renseignements intéressants. Pour commencer, le nom du contrebandier de Luvneel : Doburo Gaimo ! Elle avait gravé le nom de ce cafard dans un recoin de son esprit, persuadé que son tour viendrait. Par ailleurs, lorsqu'un équipage pirate avait contacté l'esclavagiste obèse la veille, afin de lui proposer une très forte somme contre Seika, elle avait su qu'elle ne pourrait plus lutter par la voie mercantile. Elle s'était donc résignée à user de ses autres dons.

Aussi, elle avait noté où se situait l'équipage lorsque le capitaine avait donné la précieuse information à Matsuda. Ils avaient accosté dans un coin reculé du port, à l'abri des regards. Avec un détour par une pharmacie locale, elle avait subtilisé assez de somnifères pour endormir une baleine et, une fois le navire des forbans retrouvé, l'araignée besogneuse avait débuté son plan. Les boissons des pirates discrètement agrémentés d'une énorme dose de poudre de sommeil, elle n'avait eu qu'à attendre qu'ils tombent tous comme des mouches pour égorger ces immondes personnages dans leurs songes. Puis, elle avait discrètement réparti les cadavres de manière à simuler une attaque.

Le problème des forbans réglé, elle était retournée au bordel. L'escorte de Seika en vue, l'assassin avait discrètement éliminé, un à un et sans un bruit, les gardes du corps les plus faibles. Ainsi, le piège se refermait peu à peu sur Matsuda et Yoshimura. L'acte final n'était plus très loin !


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Le spectacle les avait laissés sans voix.

Dans sa hâte de se mettre à l'abri, Matsuda n'avait pas même hélé les pirates et était monté tout de go sur le pont du navire. L'image du carnage lui arracha un haut le cœur. Talonné de près par Shiro et Seika, les deux esclaves avaient écarquillé les yeux, avant que la jeune fille ne puisse plus retenir ses vomissements devant les cadavres des pirates. L'esclavagiste bredouillait des phrases incompréhensibles, complètement dépassé par les événements. De leur côté, Shiro et Seika s'étaient retranchés dans un endroit plus ou moins propre, ne sachant ni quoi dire ni quoi faire. Le grand frère avait tenté de prendre dans ses bras sa cadette, dans l'espoir de l'isoler dans un havre protecteur.


Quelques secondes plus tard, des bruits d'une course rapide les tirèrent de leur torpeur. Matsuda pointa son pistolet dans cette direction, les nerfs à vifs, avant de pousser un soupir de soulagement en voyant Yoshimura arriver. Ce dernier jeta un coup d’œil étonné au spectacle macabre, mais ne s'émut pas le moins du monde. Après tout, c'était un vétéran et il avait vu plus d'une bataille sanglante. Son employeur rangea son arme puis l'interpella d'une voix qui se voulait rassurée, mais qui trahissait sa perte de contrôle de la situation :


- Tu... Tu t'es occupé de l'autre saloperie, hein ?
- J'ai tenté, patron. Mais c'est une bête vicieuse, déclara le samurai en s'avançant sur le pont. Elle se bat bien, mais c'est une lâche.
- Oh ! Tu l'as faite fuir ?
- Je la croyais après vous ? demanda soudain l'épéiste, mal à l'aise. Elle n'est pas là ?
- Tu ne... tu ne t'es pas fait suivre, au moins ? Hein ?


La peur se lisait clairement sur le visage lunaire de l'homme ventripotent. Sa graisse tressaillait, tandis qu'il tremblait quelque peu. Il tenta de se ragaillardir lorsqu'il entendit la réponse de l'intéressé :


- Ne vous inquiétez pas, patron. J’ai semé ce monstre. Personne ne peut égaler ma vitesse lorsque je me donne à fond.
- Que voilà une assertion bien arrogante.


Soudain, Seika aperçut une forme humaine apparaitre à l'envers, comme par magie, dans les ombres derrière Yoshimura. Avant que le garde du corps de Matsuda ne puisse réagir, sa gorge fut transpercée par de multiples épieux. Il s’écroula dans des gargouillis infâmes, les yeux exorbités de douleur et de surprise. La silhouette humanoïde pirouetta pour se retrouver les pieds sur le plancher du bateau. Elle atterrit sans un bruit et se releva doucement, faisait face depuis les ombres au trio apeuré. Seika connaissait l’avis de Shiro sur la force du samurai, si cette personne avait réussi à le vaincre si facilement, il ne ferait pas le poids. Du coin de l’œil, elle le vit serrer les dents et les poings, luttant sans doute intérieurement. Elle pouvait presque sentir les rouages de son esprit : devait-il y aller de front pour la protéger ? Ou bien tenter de fuir en l’emmenant avec lui ? Elle-même était trop secouée pour élaborer un autre plan.

Elle allait lui suggérer la fuite et laisser leur maître obèse gérer la situation, lorsqu’un rayon de lune éclaira subrepticement l’assassin. Seika eut un hoquet de surprise. Elle plaça sa main devant sa bouche grande ouverte, avant qu’Elina ne lui lance d’un ton amusé :


- Allons, mon ange, ne t’ai-je pas déjà dit que les araignées n’attaquaient pas sans raison ?
- TOI ?! hurla le gérant du bordel. Tu m’as trompé, sale garce ! Shiro... commença-t-il avant d’être interrompu.


La femme-araignée venait de projeter avec précision un couteau de lancer, juste sous son nez. Matsuda recula d’un pas et la fixa d’un air remonté. Il jura à voix basse avant de reprendre, d’un air plus douçâtre :


- Écoutez ! Je veux bien vous faire un prix si vous voulez toujours de ces deux esclaves ! J’ai bien réfléchi et vous aviez raison ! Votre offre est la meilleure ! Qu’est ce que vous en dites, hein ?


Un rayon de lune permit à Seika d’entrevoir le sourire froid de la jeune femme. Cette dernière reprit la parole en s’avançant pas à pas, toujours sans un bruit :


- J’ai bien peur de n’être plus intéressée. Mais nous sommes bien d’accord sur un point : vous avez fait une erreur. Néanmoins, j’ai une dernière proposition à vous faire.
- Je... Je vous écoute, bredouilla Matsuda, décontenancé comme jamais.


À présent pleinement éclairée par la lune, Elina se métamorphosa devant leurs yeux en une espèce hybride, mi-femme, mi-araignée. Ses yeux d’un rouge carmin firent frissonner Seika, craignant de comprendre ce à quoi comptait se livrer cette femme. L'assassin s’approcha à portée de bras, avant de s’arrêter et de toiser sa proie d’un air de prédateur. Elle reprit la parole calmement, d’une voix désincarnée qui fit perler une goutte de sueur dans le dos de l’esclave :


- Votre vie ne m’est rien, de même que vos futures malédictions. Cependant, j’ai assez bien estimé votre personne pour reconnaitre en vous un homme vil et mesquin. Vous seriez capable d’employer des assassins, ou de me dénoncer à la marine. Vous ne me laissez donc pas le choix. Le votre, pour autant, est on ne peut plus simple.


La Zoan montra ostensiblement sa griffe droite à l’esclavagiste, avant d’énoncer ses conditions d’une voix sans appel :


- Renoncez, et je serai expéditive. Débattez-vous, et vous le regretterez. Votre réponse, porc ?


Matsuda recula jusqu’au bois délimitant la cabine et en palpa les planches de ses mains boudinées. Elina ne le lâchait pas du regard, ses deux puits écarlates le transperçant de part en part. Soudain, leur patron sortit de nouveau un pistolet d'une de ses poches et le pointa vers la femme-araignée en l’insultant. Il n’eut pas même le temps d’effleurer la gâchette. Un énorme poing le cueillit, juste sous l'angle de la mâchoire, et l’envoya se cogner tête la première contre le bastingage. Il resta alors prostré, immobile, après avoir lâché un râle d’agonie grotesque. Seika jeta un regard effaré à son frère qui, lui, ne lâchait pas la jeune femme à présent redevenue humaine. Cette dernière souriait en coin, visiblement amusée par le geste de Shiro. Il prit la parole de sa voix grave :


- Je parie que vous allez m’dire que vous n’aviez pas besoin d’aide. J’ai tort ?
- Pas le moins du monde. Mais merci tout de même, Shiro.
- Et maintenant ? lança-t-il d’un air impétueux.


Elina s’assit sur un tonneau à peu près propre, au milieu de ce carnage, et y ramassa un autre couteau de lancer. Elle les regarda un instant en jouant avec son arme. Elle s’attarda tout juste sur l’homme qui l’avait menacée de son arme à feu, avant de revenir aux deux seuls autres survivants du navire.


- Contrairement à ce que j’ai affirmé, vous m’intéressez toujours. Mais... mes méthodes sont loin d’être irréprochables pour certains, comme vous vous en êtes sans doute aperçus.


Elle marqua une courte pause, avant de pointer du doigt le corps étendu :


- Pourtant, vous me croirez certainement si je vous dis ne ressembler en rien à cet être méprisable ? Je suis une femme d’affaire, et j’ai toujours besoin de personnes prometteuses. Aussi, si vous acceptez de me rejoindre, je ne vous considérerai jamais comme des objets. Néanmoins vous serez à mes ordres, ne vous méprenez pas sur ce point.


Devant leurs regards éberlués, Elina sourit avant de reprendre d’un air on ne pouvait plus sérieux :


- Vous m’avez bien comprise. Je vous propose un poste à vie à mes côtés, en temps qu’associés. Je tiens à être honnête, vous serez sans doute pourchassés un jour ou l’autre, car selon le gouvernement mondial mes activités ne sont pas toujours honorables.


Elle jeta un regard autour d’elle, avant de reprendre d’un ton sarcastique :


- Mais vous êtes deux jeunes gens intelligents, vous aviez déjà dû le comprendre. Votre réponse, à présent ?


Les frère et sœur se regardèrent un instant. Ils n’avaient pas besoin de mots pour se comprendre, en cet instant de grâce. Cette femme venait, ni plus ni moins, de leur redonner le statut d’êtres humains. Après toute une vie de servitude, relégués au rang d’objets dispensables, le choc était de taille. Shiro fut le premier à réagir :


- Mais qui nous dit que c’est pas un piège ?
- Aaaah... Shiro, soupira Elina. Pourquoi me serais-je donné autant de mal, en ce cas ? Je comprends ton scepticisme après cette vie que tu as menée. Pourtant il va te falloir utiliser ta tête : je n’ai rien à gagner à vous piéger.
- Elle dit vrai, frérot. Matsuda possédait des contacts avec la mafia et des organisations puissantes sur d’autres îles. Malgré sa transformation de ce soir, elle va sans doute attirer leur attention lorsqu’ils apprendront qu’elle a passé beaucoup de temps dans la maison close avant qu’il ne meure.
- Précisément, abonda dans son sens Elina.
- Je ne comprenais pas pourquoi vous désiriez me voir à chaque fois, mais à présent je saisis. Vous m’évaluiez, n’est-ce pas ? Tous mes gestes, toutes ces questions et nos discussions... tout était calculé pour me jauger ?
- Tu vises dans le mille, une nouvelle fois.


À nouveau, Elina s’étonnait de la vivacité d’esprit de la jeune fille. Avec un passé comme le sien, être capable de garder la tête froide et de raisonner aussi facilement dans ces conditions l’épatait. Néanmoins, il restait un bémol qu’il lui fallait trancher.


- Votre réponse, maintenant ? répéta la jeune femme.
- J’accepte, mais je ne veux plus jamais être esclave, répondit Shiro sans hésitation.
- Moi aussi, confirma sa sœur.
- Excellent ! se réjouit hors la loi. Enfin, il reste un dernier point dont j’aimerais m’assurer. Shiro, tu sais évidemment te battre et je suppose que tu as déjà dû tuer pour tes anciens patrons ?
- Ouais, répondit-t-il, laconique.


Son regard un brin perdu n’étonna pas Elina, il ne comprenait pas où elle voulait en venir. Lorsqu’elle posa ses yeux noirs sur Seika, en revanche, la petite avait d’emblée saisi le message. Malgré ses efforts pour le cacher, Elina repéra un brin d’effroi au sein des yeux noisette du petit ange. Elle se montra intransigeante :


- C’est indispensable, Seika. Prends cela pour un gage de bonne foi.
- Hein ? laissa échapper son frère, ne comprenant toujours pas.


Elina attrapa son couteau le lancer par la lame, avant de le tendre à sa nouvelle protégée :


- Je veux que tu tranches la gorge de ton ancien patron, mon ange. Alors seulement, nous partirons de cette île.






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Tout d’abord sous le choc, Shiro retrouva ses esprits rapidement. Il fut d’ailleurs le premier à réagir et s’époumona :


- Quoi ?! s’emporta-t-il, avant de se calmer sous le regard noir d’Elina.
- Je le répète, c’est indispensable. Elle sera amenée à se battre. Je veux que son épreuve du sang se déroule bien avant ce moment. Il me semble que la situation s’y prête à merveille.
- Il est déjà mort ! tenta de bluffer le colosse, peu convaincu lui-même.
- Allons, Shiro, qui crois-tu berner ainsi ? Malgré la haine viscérale que tu lui portais, tu n’as pas pu le frapper de toutes tes forces. Ton conditionnement d’esclave depuis ton plus jeune âge t’en a empêché. Ceci est un test, rien de plus.
- Ma sœur n’est pas une assassin ! affirma-t-il, déjà à bout d’arguments.
- Pas encore, elle n’en a jamais reçu la formation, asséna sans ambages l’araignée. Mais crois bien qu’elle y est toute disposée. N’est-ce-pas, mon ange ?


Cette dernière regarda Elina d’un œil à la fois avide de reconnaissance, mais aussi un brin apeuré. Elle baissa les yeux un instant sous les cris de Shiro. Son frère chercha à la convaincre de s’abstenir, mais lorsque sa sœur releva la tête, son visage irradiait de détermination. Sous le regard horrifié du colosse, la petite fleur se saisit de la lame tendue par sa nouvelle patronne, avant de s’avancer vers Matsuda. Elle tremblait, mais Elina ne sut déterminer si la peur ou l’excitation de se libérer de ses propres mains prédominait en ce moment fatidique. La petite avait les nerfs solides, elle l’avait déjà deviné, mais la première mort délivrée était toujours terrible à supporter.

Seika fut preste. Elle se pencha sur la dépouille immobile de l’homme, hésita un bref instant, puis serra les dents. Elle attrapa les cheveux de l'esclavagiste et, d’un geste approximatif, lui entailla le gosier. Un flot de sang se répandit sur le pont, qui se transforma en torrent lorsque la petite réitéra son geste la seconde d’après, créant cette fois un trou béant à la place de la gorge de ce porc. Il mourut très certainement sans jamais se réveiller. Mais dès lors, cet homme n’intéressait plus le moins du monde Elina.

Elle se rapprocha de la jeune fille, à présent grelottante, et la prit dans ses bras. La petite sanglotait. Sans doute était-ce là un choc terrible, pour une esclave, que de tuer son maître. Mais l’araignée avait besoin de cela. Elle voulait que la jeune fille soit libre, libre de vivre sans la peur que son maître ne vienne la remettre en cage. D’un point de vue extérieur, sans doute pouvait-elle paraitre cruelle. Mais elle savait que la petite fleur comprendrait. Prendre elle-même sa liberté, aussi sanglante la délivrance fut-elle, était nécessaire. Un bruit métallique retentit, lorsque Seika lâcha le couteau par terre. Elle finit par perdre connaissance et Elina la soutint avant qu’elle ne tombe. Elle essuya délicatement le sang qui tachait son beau visage, puis l’amena dans les bras de son frère. Ce dernier, bien que reconnaissant d’avoir été sauvé, en voulait à sa nouvelle patronne. Son air renfrogné irrita quelque peu la Zoan, après tout le mal qu’elle s’était donné pour le libérer lui aussi. Néanmoins, elle ne chercha pas à s’expliquer. Buté comme il semblait l’être, il vaudrait mieux que sa sœur s’en charge. En attendant il fallait qu’ils rejoignent la terre ferme aussi vite que possible. L'araignée retrouva rapidement la clé des menottes de ses nouveaux associés dans les poches du défunt, et leur retira leurs chaines en un rien de temps.

Il était temps de s'éclipser.

Seika ne se trompait pas en affirmant que feu son maître jouissait de relations prospères avec diverses mafias locales. S’ils tardaient trop, partir de l’ile en un seul morceau deviendrait malaisé. Mais Elina ne craignait pas seulement la réaction des hors la loi locaux, mais également celle d’un homme plus fourbe qu’elle ne connaissait que trop bien : Doburo Gaimo, l’armateur de la révolution sur le royaume de Luvneel. Mais pour l’heure elle avait d’autres soucis que ce rat d’égout. Son heure viendrait, elle en était convaincue, mais pour cela elle se devait de survivre.

Elina et Shiro rejoignirent l’ile. Ils traversèrent sans un mot les rues sombres de la ville, avant de rejoindre la navette où Elina avait réservé trois places. Elle vérifia qu’ils n’étaient pas tachés de sang, avant d’interpeller un membre de l’équipage, posté en bas du ponton. Il la reconnut et la laissa monter à bord avec Shiro et sa sœur, toujours endormie. Ils s’isolèrent dans une cabine spacieuse pour trois personnes. Tout d'abord peu loquace, le mastodonte finit par entamer la discussion avec l'assassin qui était désormais sa nouvelle patronne :


- Bon. Et qu'est ce qu'on fait maintenant ?
- Il nous faut partir de North Blue pendant un moment, nous faire oublier le temps que vous gagniez en maturité. La navette sur laquelle nous trouvons fait partie d'une série de transports que nous allons emprunter pour rejoindre East Blue. Une fois sur cette nouvelle mer, nous irons sur Shimotsuki, une île connue dans le monde entier pour ses Dojos.
- Des dojos ? releva soudain le colosse.
- Vous allez apprendre à vous battre et progresser auprès des maitres de l'île. Une fois que vous serez prêts, nous pourrons nous mettre au travail.
- Et ça va prendre combien de temps ? demanda Shiro, soudain sceptique.
- Selon votre courbe d'apprentissage, entre un an et dix huit mois d'entrainement intensif pour que vous sachiez vous débrouiller en situation réelle. C'est le temps qu'il m'a fallut pour maitriser mon fruit du démon et les bases du combat. Le reste, vous l'apprendrez sur le terrain ou auprès d'autre maitres. Je ne me fais pas de souci. Je suis certaine que vous progresserez vite, tous les deux.
- Un fruit du démon ? nota Shiro.
- Cette histoire risque d'être très longue, je vous raconterai tout demain.


Après un court instant, la jeune femme annonça qu'elle avait besoin de repos. Le grand gaillard ne la contredit pas, car effectivement la journée avait été longue et éprouvante pour tout le monde. Aussi Shiro et Elina finirent par rejoindre les bras de morphée, suivant Seika qui ne s'était toujours pas réveillée. Il ne restait plus qu'à être patiente pour voir murir ces fruits prometteurs. Le résultat ne la décevrait pas, l'araignée en était persuadée.






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