Bartholomeüs, Vieil homme Fou
Le vieux fou ne comprenait pas. Il ne comprenait pas qu'il ait été pris de vitesse... Ou peut-être avait-il saisi. Son âge y était sûrement pour quelque chose. Il n'avait pas la vivacité de sa jeunesse, mais au moins l'intelligence de son expérience. Avec un air déconfit, il mit les mains en l'air en se relevant, après un roulé-boulé qui lui avait permis d'esquiver in extremis les attaques du roux. Ils étaient un peu enfoncés dans la montagne, rien de particulier. Ils avaient cependant une bonne marge de manœuvre pour discuter sans être entendu d'autrui. La marine n'interviendrait par ailleurs pas : elle n'interviendrait plus. Elle était contrôlée, pacifiée, animée par une vertu qui n'avait jamais été la sienne. Un long soupir passa à travers la gorge du Fou qui prit un air blasé : expliquer, toujours expliquer. Les jeunes étaient bien trop impatients.

- L'archipel presque entier est sous le contrôle de Centes Decimas. N'as-tu pas encore compris ? Son pouvoir, sa puissance... Elles sont telles qu'il a permis à tous de vivre en paix. « Il est interdit de tuer autrui, ou de faire intentionnellement du mal à autrui. Ce dernier commandement peut être oublié temporairement si c'est pour mimer la vie de l'île telle qu'elle l'a toujours été. ». Ne comprends-tu pas, Shiki M. Eiki ? Les gens sont heureux, et ils le seront encore plus bien plus tard...

Il soupira, mit une main dans sa poche et en sortit une arme un peu plus originale. Elle se greffa à son bras quand il l'activa, et les canons se mirent à tourner dans tous les sens. Il y en avait trois, et les trois semblaient prêts à faire feu. Ils étaient reliés à une poche de balles à sa ceinture. Quand il tira une première salve, ce ne furent pas trois mais six balles qui sortirent des trois canons.

- Et pam, pam, pam ! Hurla-t-il en visant le révolutionnaire.

Il ne comptait pas sur une esquive totale, bien qu'elle fut possible. Les révélations avaient sûrement choqué ce pauvre jeune homme. D'un air carnassier, il observa les six explosions qui vinrent faire exploser sinon son adversaire, au moins le paysage derrière lui. Il espérait bien un effet, et mit soudain en mouvement. Il devait conserver une certaine distance à présent. Comme ils étaient en montagne, il avait l'avantage, et la nuit... Bah, elle serait compensée bien aisément. Il se hissa derrière un rocher et, s'il voyait son adversaire bouger, changerait la direction d'un de ses canons pour lui tirer une balle qui, cette fois-ci, viendrait rendre le sol à ses pieds glissants. Une entorse, ce ne serait vraiment pas de bol...

Bartholomeüs, Vieil homme Fou
La lame avait été lancée avec une telle vélocité qu'il n'avait pu stopper son tir. Le vieillard sentait bien que son heure n'était pas venue, et pourtant l'explosion retentit si près de lui, qu'elle l'envoya valser contre un arbre. Une partie de son bras et de sa jambe avaient été brûlés par l'explosion. Il grogna avec une telle force qu'il sentit à peine ses parties mises à vif, et s'empressa de retourner au combat... Titubant. Son arme était toujours dans sa main, et quand il aperçut Shiki venir à ses côtés, il n'eut pas le temps de charger un nouveau type de balle. S'il attaquait à courte distance comme cela, il lui serait impossible de survivre à l'explosion qui en suivrait. Et sinon... Son Seigneur ne lui pardonnerait jamais d'avoir fait passer sa vie avant leurs idéaux.

Le dilemme fut vite résolu par l'épéiste qui brisa l'arme dans ses bras. Les trois canons furent fendu en deux, empêchant l'utilisation optimale du revolver. Le vieillard, le regard sidéré, sentit son corps vaciller. Un Escarméra enregistreur sortit de sa tunique. Il avait été vaincu. Il avait été vaincu, et il était en train de mourir de sa bêtise. « Ah, ah, bien fait pour toi vieux croulant. » pensa-t-il.

Un regard sur l'épéiste vint trahir la compassion qu'il portait à ce dernier. Il lui lâcha un sourire amusé : ce n'était pas la première fois qu'il avait été vaincu, mais c'était la première fois qu'il avait apprécié perdre. Il était fatigué de toutes ces histoires...

- Un jour, le monde sera pacifié par mon Seigneur... Entends ma voix, entends mon chant... Je crois en toi, an après an...

Il ferma les yeux. Les brûlures lui avaient été fatales en très peu de temps : sa vieillesse l'avait fauché avant l'âge. Sur lui, quelques papiers avaient brûlé en même temps qu'une partie de ses vêtements. Il s'agissait, selon le titre qui se consumait peu à peu, du rapport de situation de l'île. Il aurait pu apporter des indications supplémentaires sur Minako, mais c'était l'enregistreur qui se mit en route et afficha une image penchée contre un rocher qui permit de donner les indications suffisantes.

Sur un navire, une nuit de pleine lune, le visage fermé de Minako Taguel avançait vers un navire. Elle montait sur ce dernier, d'un pas mécanique, réglé. À ses côtés, une jeune femme primée avait l'air ravie de sa nouvelle acquisition. Elle la reluquait sous tous les angles. Il s'agissait de la douzième chevalière des Décimas, Emiko Nakagawa. Elle fit un petit signe de salut d'une main à la caméra, et d'un air narquois, se retourna. L'image se coupa alors.

La fille de Fafarona avait quitté l'île vivante, un mois et demi auparavant, après avoir été prise sous le contrôle de Centes. C'était peut-être là la seule information viable qui ressortirait de cette opération...


Nadir, primé à 19.000.000 berrys
Nadir se réveilla avec Alibaba à son chevet. Il toussa un peu et sentit son thorax lui faire mal. La personne qui s'était occupée de lui avait arrêté l'hémorragie, mais il cicatrisait encore. Il n'était heureusement pas mort, quel coup du sort ! Ou peut-être qu'on n'avait jamais eu l'intention de le tuer. Ce prédateur, ce vieil homme... Il devait avoir un passé compliqué pour en arriver jusque là.

- Que s'est-il passé ? Dit-il à la personne à sa droite.

Nadir, primé à 19.000.000 berrys
La nouvelle était d'une effroyable teneur, même pour un révolutionnaire aussi isolé que Nadir. Celui-ci ferma les yeux. Les informations qu'ils venaient d'avoir étaient en corrélation avec l'état de l'île, cela voulait dire que lui-même n'avait plus rien affaire avec ça. Un long soupir le parcourut, et il regarda les passants, même le médecin avec un autre regard. Lui aussi était sous le contrôle du Régent... Lui aussi était à la solde de cet immonde personnage qu'il exécrait tant.

- Si vous avez des espions ici, ils sont aussi sûrement sous son contrôle. Les informations qu'ils vous rapportent depuis un mois et demi doivent être erronées.

Ne perdant pas le nord, l'homme-corbeau toussota. Il était encore faible, pour l'instant. Il aurait apprécié avoir un peu plus de repos, et dans la proposition que lui faisait l'Eiki, il y en avait. Il acquiesça à cette première proposition de les accompagner jusqu'à ce qu'il soit soigné, cependant...

- Je suis un free-lance... Ton esprit m'a cependant convaincu. Quand tu auras réalisé une action à l'encontre du Gouvernement Mondial, je te rejoindrai, Shiki M. Eiki. En attendant, il me semble que je doive me reposer et reprendre ma route.

C'était une proposition qui disait peu de choses. Elle était cependant suffisante : il suffisait à son interlocuteur de s'en aller en sachant qu'une fois qu'il se serait érigé en opposant à la souveraineté des gouvernementaux, il aurait un nouvel allié dans ses rangs. Rejoindre un mouvement n'avait jamais intéressé Nadir, cependant.... Pourquoi pas ?

L'île de Berk Town était tombée. Révolutionnaires, marines, civils, pirates de passage, tous n'étaient plus que les pantins d'un Monarque bienveillant. Il les poussait à survivre, à vivre, à être épanoui dans un monde qu'ils détestaient. La boucle avait commencé à se refermer progressivement, et l'absence du vieillard ne perturberait personne. On n'entretenait plus vraiment les tombes, car la mort appelait à se remémorer les tristes souvenirs des défunts. Seuls d'irréductibles habitués revenaient dans les cimetières, des fleurs à la main, chanter les louages de « feu mon mari », « feu ma bien-aimée », « feu mon père, ma mère, ma sœur, ... ».

Les deux heures de soleil en ces lieux ne suffiraient jamais à rétablir la lumière d'espoir pour la liberté. Et si pendant tellement de temps Berk Town était restée ainsi, alors combien d'autres îles étaient tombées ? Combien d'autres finiraient par suivre l'exemple ?