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[Conquête]L'oeil du cyclone sera de soie.
Kokuro Elina
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Mer 15 Oct - 22:55
L’oeil du cyclone sera de soie.
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Elina patientait calmement. Son périple jusqu’à Yakoutie Island s’était déroulé sans anicroche, une première depuis ces dernières semaines. En effet, non contente d’avoir été secouée lors de son passage sur Shivering Island, elle s’était heurtée à plusieurs surprises, sur l’ile Micqueot. Mais elle préférait se concentrer sur le moment présent. Parvenir jusqu’à l’ile hivernale était tout aussi difficile que dans ses souvenirs. Malgré sa coque et sa proue équipée pour les circonstances, la navette civile sur laquelle elle voguait peinait à franchir la banquise entourant l’ile. Lorsque l'île serait sienne, une de ses premières action serait d'étudier ce problème d'accès pour le moins gênant. Néanmoins, elle se sentait relativement chanceuse en ce jour, et se réjouissait de n’avoir pas à souffrir une attaque de pirates ou de bandits, cette fois ci. Après plusieurs heures de luttes avec la glace, l’araignée finit par fouler le sol enneigé de Yakoutie Island. Elle leva les yeux vers l’horizon et jugea, à la coloration rougeâtre du soleil à moitié happé par la mer, qu’elle pouvait se rendre sans risque sur les terres.

La femme d’affaire progressait à pas mesurés, parée pour l’occasion de son ensemble de fourrure d’un gris clair somptueux. Ses bottines et ses gants, quant à eux, tiraient bien plus vers le noir d’ébène et la protégeaient du froid mordant de l’île. Elle portait ses propres bagages, légers et peu encombrants pour des soucis de commodités. Ses pas crissaient dans la neige et elle avançait d’un pas décidé, se souvenant assez bien du chemin jusqu’à l’auberge qu’elle avait, jadis, occupée avec Wan. Le jeune officier avait d’ailleurs été muté sur une autre ile depuis un certain temps. Elle tenait cette information d’une source sûre aussi, si elle surveillait tout de même les coins sombres par habitude, elle était bien plus détendue que s’il avait toujours été présent. Une bourrasque fit voleter ses cheveux noirs de jais, et elle plaça sa main au dessus de ses yeux pour se protéger de la bise et des flocons. À force de persévérance, elle finit par retrouver la fameuse enseigne et passa le pas de la porte. Aussitôt, elle sut ne pas s’être trompée d’adresse.


- ...et alors, j’me suis rendu compte que l’ours était en fait UNE ourse ! racontait de sa voix grave Shiro, visiblement éméché. Et pire ! Elle me prenait pour son mâle depuis le début ! GYAHAHA !


Toute la salle commune éclata d’un rire bon enfant, devant sa fameuse histoire où il aurait passé une nuit d’hiver dans une caverne, pour se réveiller au matin face à face avec un ours. Il aurait réussi à s’enfuir après plusieurs jours de cohabitation étrange, mais l’ours l’aurait poursuivi et aurait tenté de le ramener à sa tanière, tout comme la femme repêche son mari après une nuit de beuverie. Puisqu’elle connaissait la vérité, Elina sourit en coin, elle aussi, amusée par la capacité de Shiro à déformer ainsi les faits. Elle promena son regard dans la salle et son sourire s’élargit. Seika l’avait repérée du coin de l’œil dès son arrivée, à la différence de son frère qui continuait à jouer les troubadours. La jeune fille la salua en inclinant la tête, ce à quoi répondit Elina de la même manière. Elle se dirigea vers le comptoir sans plus prêter attention aux pitreries du colosse à la chevelure immaculée. Après avoir commandé un verre de vin pour se réchauffer, elle déposa ses bagages et demanda à l’aubergiste la clé de sa chambre. Ses subordonnés avaient déjà dû la réserver et donner son signalement au tenancier, comme prévu. L’homme lui tendit son verre et sa clé, avant de retourner s’occuper des autres clients. Elle s’assit sur un tabouret et commença à déguster sa commande.


- Tu as fait bon voyage ? demanda simplement Seika lorsqu’elle la rejoignit.
- Il aurait pu être plus paisible, répondit l’araignée, laconique. Mais j’estime ne pas avoir perdu mon temps. De votre côté vous semblez guillerets, toi et ton frère.


Et en effet, la jeune fille souriait de toutes ses dents. Seika devenait vraiment radieuse lorsqu’elle s’extasiait de la sorte ; ses yeux noisette pétillaient et son air angélique vous contaminait bien vite. Shiro continuait à amuser l’assemblée, couvrant leur discussion discrète de sa voix puissante. Seika reprit la parole à voix basse :


- Les habitants sont des âmes simples, mais ils sont toujours malmenés par les brigands et les pirates. La marine reste étrangement inactive depuis le départ de Wan, ce qui avive le ressentiment général. Enfin, j’ai entendu ce matin quelqu’un parler d’un monstre qui sévirait depuis moins d’une semaine dans les montagnes, au Nord de la ville.
- Un monstre ? releva l’araignée entre deux gorgées de vin.
- Selon les témoignages, ce serait un ours blanc, ou un géant, parfois les deux...
- Rien de concret, en somme. Mais c’est un bon début. Et du côté de nos amis les marines ?
- Le colonel Leif est un homme très prudent, mais quelque peu absent lorsqu’il s’agit de la défense de l’île...
- C’est louche, en effet. Ne laisse pas ton frère s’enivrer plus que de raison, mon ange. J’aurais besoin de lui demain. Quant à toi, tu sauras sans doute agir au moment opportun ?


D’un regard, Seika montra à l’araignée qu’elle avait compris le message. Elina sirota son vin encore un moment, puis s’excusa et s’isola dans sa chambre. Cette dernière, loin d’être luxueuse, n’en devenait pas pour autant vétuste. Simple, aérée et propre, la pièce comportait un lit en bois au matelas rembourré, une armoire rustique et un miroir grossièrement poli. L’odeur de poussière lui prit soudain le nez, qu’elle tortilla devant la négligence du tenancier. Mais l’araignée avait séjourné dans de pires situations. Elle installa donc ses affaires sans se presser, manipulant délicatement ses vêtements de soie pour les ranger dans l’armoire. Une fois ses sacs vidés, elle testa le matelas qui, à sa grande surprise, n’était pas d’une si mauvaise qualité. Il épousa généreusement son corps ferme lorsqu’elle s’y allongea, lasse après ce long voyage. Elle étendit sa veste et son pantalon de fourrure sur une chaise, avant de passer une robe de chambre simple. La fatigue et le stress accumulés pendant tous ces voyages s’évanouirent subitement. Certes, elle ne se savait pas particulièrement en sécurité, mais sentir Shiro et Seika proches d’elle la rassurait. Les jours suivants nécessiteraient une concentration et un sang froid à toutes épreuves, mais je leu en valait la chandelle. L'araignée était résolue à prendre le contrôle de cette île, point éminemment stratégique de cette mer. Sur ces bonnes résolutions, elle s’abandonna à un sommeil sans rêves en quelques instants.






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Kokuro Elina
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Ven 24 Oct - 15:19
L’oeil du cyclone sera de soie.
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La tempête de neige s’était finalement calmée. Après une matinée, et même un début d’après midi passé dans sa chambre à patienter, Elina était reconnaissante à Dame Nature de cesser les hostilités. L’araignée, habillée d’un ensemble gris clair en fourrure par-dessus une tenue moulante en soie, sortit de la pièce et alla chercher Shiro. Pour affronter un monstre énigmatique, mieux valait compter sur cette brute que sur sa sœur, bien plus adaptée à un autre type de mission. Ainsi accompagnée, la jeune femme s’élança vers les montagnes. Le dernier endroit où avait été aperçu cet être mystérieux se trouvait à une petite distance à pied. Shiro, comme à son habitude, n’avait voulu prendre qu’un T-shirt et un pantalon blanc quelconque. Ce n’était que lorsqu’Elina avait longuement insisté qu’il avait accepté de se vêtir également d’une peau d’ours polaire qu’il gardait avec lui... Le couple dépareillait assez, et les passants leur jetaient fréquemment des coups d’œil intrigués, voire intimidés par la stature du colosse. Une fois en dehors de la ville, Elina prit les devant et, s’enfonçant pas après pas dans la neige, se dirigea vers une grotte que son subordonné avait repérée, quelques jours plus tôt. Après une longue marche, Elina demanda soudain :


- Tu es sûr qu’il s’agit de cette caverne ? demanda-t-elle soudain, ne désirant pas marcher des lieux dans la poudreuse pour rien.
- Pas vraiment. C’est que des rumeurs ! Mais le dernier gars qui a aperçu ce truc m’a indiqué cet endroit.
- Et quelle description du monstre t’a-t-il faite ?
- Grand, costaud, à poils longs et blancs, déclara-t-il avant de soudain éclater de rire. Il a même cru que c’était moi pendant un instant, ce con ! HAHA !
- Concentre-toi, Shiro. Il ne faudrait pas qu’il nous glisse entre les doigts.


L’intéressé lâcha un grognement d’assentiment, puis reprit sa marche en silence. Le paysage enchanteur laissa de marbre les deux hors-la-loi. Les montagnes s’étendaient à perte de vue, recouvertes d’un épais voile immaculé. Les nuages s’accrochaient à ces gigantesques dents de la terre, tandis qu’un fin brouillard s’amassait en contrebas, occultant les divers villages en cette froide journée. Même si le soleil brillait haut dans le ciel, l’air était frais et le vent mordant. Elina progressait en silence, les sens à l’affut. Leurs vêtements gris et blancs leur permettraient peut être de passer inaperçus un peu plus longtemps... Mais si le monstre vivait dans les montagnes, il connaissait nécessairement le terrain mieux qu’eux. Soudain, Shiro pointa du doigt un renfoncement dans la falaise, un peu plus haut. Le pic rocheux se transformait à cet endroit en une plateforme rocailleuse, pourvue d’une sombre caverne. Les deux comparses progressèrent avec une prudence redoublée. Seuls les crissements de leurs bottes, inévitables sur ce terrain, trahissaient leur approche.

Cependant, un fait inattendu fit lever un sourcil à la jeune femme. Lorsqu’ils arrivèrent sur le plateau, ils constatèrent que les restes d’un feu ornaient l’entrée de la caverne ! Elina fronça les sourcils mais, avant qu’elle ne puisse demander à son garde du corps de passer devant, un rugissement monstrueux s’éleva du fin fond de l’antre. Sans crier gare, une forme immense en sortit en grognant. Instinctivement, Elina recula, jeta ses affaires en fourrure derrière elle, avant de se transformer en hybride. Pendant ce temps, Shiro fonça tête baissée en poussant un cri de guerre. Il entra en collision avec la bête, ce qui permit à la femme-araignée de l’observer tout en grimpant sur la roche. Le monstre devait mesurer plus de 3 mètres de haut, recouvert d’une épaisse fourrure blanche. Trapu et le dos courbé, il repoussa Shiro d’un revers et retomba à quatre pattes. Ses membres avant, bien plus imposants que les postérieurs, se terminaient par deux mains énormes aux griffes noirâtres. Son visage humanoïde s’ornait d’une crinière blanche et, lorsqu’il hurla de nouveau, il dévoila une rangée de dents effilées.


- Un yéti, commenta simplement Elina. Shiro, tu penses pouvoir le retenir un instant ?
- HA ! On va voir ça tout de suite ! s’exclama-t-il en repartant à l’assaut.


Le colosse semblait bien menu face à cette abomination mais, loin de se laisser démonter, Elina savait qu’il puisait dans cette situation un regain d’énergie. Shiro adorait se battre, d’autant plus lorsqu’il pensait l’adversaire aussi fort que lui, sinon plus. D’un bond, il se jeta sur le yéti et lui envoya un direct du droit à pleine puissance. La bête ne broncha pas et tenta de l’attraper de ses bras noueux. Shiro esquiva et contre-attaqua d’un uppercut en plein menton. Encore une fois, la bête ne sembla même pas sentir son coup.


- T’es du genre chiant, toi, hein ?! lui lança-t-il en riant.


Pendant que les deux titans bataillaient, l’araignée observait attentivement le monstre. Quelque chose clochait, elle le sentait mais n’arrivait pas à mettre précisément le doigt dessus. Ses mouvements étaient trop lents, trop prévisibles et, clairement, dénués de bestialité ! Shiro avait le dessus sans aucun souci. Malgré toute la confiance qu’elle lui accordait, son homme de main ne devrait pas s’en sortir aussi facilement contre un Yéti ! Ce dernier, loin de s’en rendre compte, s’amusait de la facilité avec laquelle il esquivait les pattes du monstre. Elina décida de s’approcher un peu plus et s’avança sur l’arcade rocheuse qui surplombait le plateau. Elle entretissa plusieurs fils, afin qu’ils la retiennent dans son dos et progressa sans bruit au dessus de leur adversaire. Soudain, Shiro trouva une ouverture et lança de nouveau un uppercut qui frappa la bête au menton. Elle resta à nouveau de marbre mais, cette fois-ci à portée de voix, Elina entendit quelque chose :


- Magglebak ! Mais c’est qu’il cogne fort ! Il va finir par abimer l’armature !


La voix claire et haut perchée semblait s’élever depuis le Yéti, mais ce dernier n’avait pas bougé ses lèvres. Sans compter le fait qu’une telle abomination ne parlait pas leur langue ! En un éclair, l’araignée compris ! « L’armature » ? Ce n’était pas un être vivant, mais un cyborg ou un robot ! Si elle en croyait l’origine de la voix, celui qui pilotait devait se trouver à l’intérieur même de sa création. Mais comment l’en faire sortir ? Il lui était impossible d’apercevoir quoi que ce soit sous cette épaisse couche de poils... Elle décida de prévenir son acolyte :


- Shiro ! l’appela-t-elle. C’est une machine contrôlée par quelqu’un à l’intérieur. Il faut le faire sortir.
- De quoi ?! s’exclama-t-il, surpris. Une machine !
- Magglebak ! J’suis découvert !
- Fais moi plaisir et sors de là, mon gars ! lui lança Shiro d’un ton autoritaire. C’est pas sympa de se cacher !
- Pardon ! Pardon !


Soudain, devant les yeux éberlués de l’araignée et du colosse, la tête du Yéti s’ouvrit. Le crane se décrocha de la mâchoire dans un bruit mécanique et pivota en arrière jusqu’à laisser apparaitre un enfant. Mais ce dernier semblait bien étrange comme s’il n’était pas vraiment humain... Il mesurait moins de trente centimètre et semblait bien menu. Malgré la situation, ses yeux rieurs et sa bouille adorable arrachèrent un début de sourire à Elina. Ce petit être portait un lourd manteau rouge et des gants de cuirs, mais là n’était pas le plus étonnant avec ce climat hivernal. Sa capuche ressemblait presque à une crinière blanche, comme une réplique miniature de celle de sa bête. Tout à coup Elina comprit : c’était un liliputien ! Elle avait entendu parler de ces créatures, et de leur susceptibilité face à une telle appellation. De même, leur côté un peu niais n’était pas une légende ! Qui donc abandonnerait si facilement une armure de métal si son adversaire le lui demandait ?


- C’est quoi ce mini-moi ? demanda soudain Shiro.
- Eyh ! Je m’appelle Mokuso ! Un peu de respect pour les mini-habitants !


Elina reprit sa forme humaine et se réceptionna juste à côté de cet être pour le moins surprenant. Il la regarda avec des grands yeux ronds, avant de la saluer d’une main gantée :


- Bon... Bon... Bonjour m’dame !


L’araignée sourit soudain devant sa chance. Le petit être avait à présent le feu aux joues et n’osait pas la regarder en face, lui qui s’était pourtant élevé sans hésitation contre Shiro, et l’avait repris sur son manque de respect quelques secondes auparavant. Ce Mokuso serait-il donc timide ? C’était trop beau pour être vrai...


- Que fais tu donc dans cette panoplie, tout seul dans la montagne ? lui demanda-t-elle avec un grand sourire.
- Je... Je... et bin... comment... Euh. Les... Les grandes gens m’ont amené... dans le zoo. Ils m’ont capturé avec... enfin quand j’étais sur Dwarf Town dans Jack.
- Jack ? l’interrompit soudain le colosse.
- Bah Jack ! Lui ! déclara Mokuso en tapotant sur la carcasse de métal.
- Mais bien sûr, Jack, roucoula Elina. Ils t’ont pris pour un Yéti, puis tu as donc été capturé, et tu t’es enfui ?
- V-v-voila ! réussit-t-il à articuler avant de détourner le regard. Et depuis je reste ici, j’ai des rations et de l’eau que je fais fondre avec la neige.
- Tu nous as attaqués car tu pensais que l’on voulait te ramener au Zoo ?
- Hein ? Attaqué ? Non-non, je jouais au Yéti avec vous ! Comme avec les autres humains, ils me regardaient de loin et rigolaient avec moi avant de faire semblant de s’enfuir !


Elina et Shiro échangèrent un regard, avant que le colosse ne reprenne la parole :


- Euh... non mon pote. Tu leur faisais peur et ils nous ont demandé d’enquêter.
- Aaaah ! s’écria Mokuso, les yeux exorbités. Mais ! Mais ! Je ne voulais pas... Magglebak ! Je n’ai jamais fait de mal à un humain !
- Ce n’est rien, le rassura Elina. Je pense pouvoir régler la situation si tu nous accompagnes.
- Oui ! Bien sûr ! J’arrive.


Elle venait de trouver comment profiter de la niaiserie de Mokuso. Si elle arrivait à bien abattre ses cartes, elle pourrait non seulement gagner quelques habitants à sa cause, mais surtout le liliputien ingénieux. Qu’il réussisse à créer ce genre de machine par lui-même l’impressionnait. Si jamais il se ralliait à elle, le résultat serait on ne peut plus bénéfique. Le liliputien, comme elle s’y attendait, leur emboita le pas en gardant la gueule de son yéti ouverte. Ils parcoururent rapidement le chemin inverse et, bientôt, se retrouvèrent en plein milieu du village. Plusieurs personnes hurlèrent et s’enfuirent à la vue de la bête mais quelques unes, plus braves ou plus curieuses, observèrent la scène de loin, intriguées. Le groupe hétéroclite se dirigea tout droit vers l’Igloo, la base de la marine locale. À la vue du Yéti, les gardes en faction les mirent en joue. Avant que Mokuso ne panique, Elina prit les choses en main et le calma de quelques paroles. Puis, elle se tourna vers les marines :


- Je viens vous parler du fameux « monstre des montagnes » qui sévit depuis quelques temps. J’aimerais parler à un de vos supérieurs.
- Et bien... madame, le colonel Leif est très occupé, vous savez...
- Trop occupé pour s’occuper de la sécurité de ses concitoyens ? lança-t-elle d’une voix assez forte pour que toutes les personnes présentes sur la place puissent l’entendre.


Les marines évitèrent un scandale et demandèrent à l’araignée d’attendre. L’un d’eux pénétra dans l’Igloo et, quelques instants plus tard, le fameux colonel apparut, l’air renfrogné, accompagné d’autres soldats. Mokuso les salua timidement, tandis qu’Elina et Shiro les regardèrent sans broncher. L’araignée devait trainer en longueur, ne serait-ce que quelques minutes, pour le bien des opérations :


- Bonjour, colonel.
- Je suis le colonel Leif, madame... ? demanda-t-il laconique.
- Je viens vous faire un résumé de la situation, asséna-t-elle en occultant volontairement la question de l’officier. Vous êtes sans-doute au courant des rumeurs concernant un monstre qui sévirait dans les montagnes ?


Le colonel Leif jeta un coup d’œil à Mokuso d’un air intrigué, puis reporta son attention sur Elina avant de grogner un assentiment. L’araignée continua, alors que la place se remplissait peu à peu de curieux :


- Ce cher « petit être » se nomme Mokuso. Il est ingénieur et a construit une machine à l’effigie d’un yéti, nommée Jack. Il aurait été capturé par le Zoo et se serait enfui avant de se terrer dans les montagnes, apeuré par les humains. Il est inoffensif et, au contraire, nous a accueillis avec un jeu de son invention...
- Je jouais au yéti, m’sieurs le marine ! l’interrompit l’intéressé, les larmes aux yeux. J’vous jure que j’voulais pas faire peur aux grandes gens ! Me remettez pas dans une cage !

« Je n’aurais pas pu espérer mieux... », ricana en son for intérieur Elina, sans rien en laisser paraitre.

- Hum... Plusieurs villageois se sont plaint d’avoir été agressés par ce gnome... commença le colonel Leif.
- « Gnome » est un terme assez péjoratif, le coupa Elina sans sourciller face à son regard noir. Il préfère qu’on l’appelle « Mokuso » ou « mini-habitant », comme tous ses semblables. De plus, un seul villageois a-t-il vraiment été agressé ? Ou n’ont-ils pas seulement été apeurés, et à raison, face à son Yéti mécanique ?


Plusieurs voix s’élevèrent dans son dos, les villageois murmurant entre eux des paroles qu’elle ne pouvait entendre. Néanmoins, l’ambiance ne semblait pas confiner à la fronde, mais plutôt à la perplexité. Elina décida d’en jouer au mieux, lorsque le marine affirma d’un ton péremptoire :


- J’ai reçu plusieurs dépositions. La loi est la loi !
- Cher colonel, j’aimerais éviter que nous soyons expéditifs avec ce petit être.
- Il ne vous revient pas d’en décider ! s’emporta-t-il.
- Non, et c’est bien dommage, admit Elina. Mais dites-moi, pourquoi ne pas faire venir les plaignants ? S’ils ont vraiment été agressés, sans doute faudra-t-il sévir... mais dans le cas contraire, nous punirions un innocent !
- Madame, je vous remercie de nous avoir amené ce fauteur de troubles mais... commença le colonel, avant d’être interrompu par certains villageois.


La foule s’était peu à peu rapprochée. La peur provoquée par l’apparence de la création de Mokuso avait fait place à une curiosité sans nom. Devant la candeur, l’air meurtri et rongé par le remord du liliputien, les habitants fondaient à vue d’œil. Bientôt, plusieurs protestations s’élevèrent et les marines furent contraints de ramener l’ordre en haussant le ton. Les « victimes » furent amenées une à une et, bien vite, tout le village put se rendre compte qu’aucune n’avait réellement été attaquée. Tout comme Mokuso l’avait évoqué, il n’avait fait que « jouer au yéti » avec eux, et les hommes et femmes avaient bien vite déguerpi sans demander leur reste. Devant leurs plaidoiries, le colonel Leif fut forcer d’admettre son erreur et Mokuso fut exempté de toute poursuite.


- Merci ! J’vous jure que je me tiendrai bien, m’sieur ! Mais ne m’renvoyez pas au zoo, s’il vous plait...
- Pas d’inquiétude, Mokuso, le rassura la jeune femme. Comme je te l’avais dit, ce n’était qu’un malentendu qu’il fallait régler. Je pense que vous ne verrez pas d’inconvénient à ce que je m’occupe de lui, colonel ?
- Faites ce que vous voulez. J’ai d’autres chats à fouetter !


Sur ce saut d’humeur, l’officier retourna à l’intérieur de l’Igloo en maugréant. Le timing serait très certainement bon, aussi Elina ne s’attarda pas plus et ramena Mokuso à son auberge. Si plusieurs villageois semblèrent désireux d’en apprendre plus sur le petit être, la plupart étaient tout de même un peu plus hésitants. En arrivant dans l’établissement où elle logeait, Elina demanda à Mokuso de laisser son yéti dehors, dans un coin où personne ne pourrait le lui voler. Il la rassura sur ce point :


- Aucune chance, m’dame ! Les commandes sont dans sa tête et il faut déjà savoir comment ça fonctionne. Donc, à par moi qui ait la clé, personne ne peut l’utiliser.
- Tu sembles bien plus à l’aise pour parler, à présent, remarqua l’araignée.
- Bin vous êtes gentille, alors je me sens mieux, maintenant !


La jeune femme sourit devant la niaiserie de Mokuso et entra dans le bâtiment. Quelques clients tournèrent la tête à leur vue, intrigués par le liliputien, mais personne ne posa de questions. Elina s’attabla avec Shiro et Mokuso, pendant que plusieurs curieux les avaient suivi et les rejoignirent, une fois que l’araignée les y ait invités. Ils discutèrent longuement autour de tasses de chocolats chauds avec l’exilé de Dwarf Town. Il leur conta son histoire avec une candeur et une franchise déconcertante, bien qu’il soit tout de même un peu impressionné de voir autant de monde à la fois...

Tandis que les habitants riaient, s’émouvaient et commençaient à se détendre devant cet être fabuleux, Elina s’excusa et laissa Shiro gérer la suite. Elle monta les escaliers jusqu’à la chambre de ses deux associés et y retrouva Seika, assise sur le lit. Cette dernière tenait une liasse de feuilles à la main et la parcourait lorsque l’araignée entra. Elle se leva, le visage illuminé d’un large sourire.


- À te voir aussi guillerette, je suppose que tu as réussi ? lui demanda Elina.
- Oui, la diversion a fonctionné et la plupart des marines sont sortis avec le colonel. J’ai pu m’infiltrer et récupérer les informations dont nous avions besoin.
- Bien. Beau travail Seika. De notre côté, nous avons sans doute trouvé un nouvel allié intéressant. Le fameux monstre était en fait un liliputien nommé Mokuso qui avait créé un yéti mécanique. Je pense pouvoir le convaincre de nous aider sur l’île.
- Un liliputien ? s’émerveilla Seika.
- Tu peux aller discuter avec lui, si tu veux. Il est un peu timide alors sois douce. Nous nous occuperons de la suite des opérations à partir de demain. En attendant, repose-toi.


La jeune fille à la chevelure blanche sourit à sa patronne et s’éclipsa bien vite. De son côté, Elina parcourut rapidement les notes recopiées par Seika. Avec ceci, elle ferait un nouveau pas vers la domination de cette île. Elle ne s’était décidément pas trompée en sauvant ces deux anciens esclaves, quatre ans auparavant. Leur efficacité n’avait d’égale que leur loyauté. Deux qualités assez rares pour qu’Elina s’estime réellement chanceuse. Elle dissimula les notes dans la commode de la chambre et retourna dans la salle commune. Mokuso était devenu en un rien de temps la coqueluche du village, et l’aubergiste faisait salle comble en cette belle soirée. L’araignée sourit ; son plan se déroulait à merveille pour le moment.






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Dim 26 Oct - 17:28
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Elina resta un instant devant la devanture abimée du bâtiment. Que de souvenirs ! Voilà bien cinq ans qu’elle avait franchi cette porte à la peinture craquelée. Cinq années qu’elle avait appris, grâce au maître des lieux, le pouvoir dont elle avait hérité bien malgré elle. Seika ne pipait mot, préférant jeter des coups d’œil aux alentours, de peur que quelqu’un ne les remarque. L’araignée finit par entrer dans la salle commune du marché noir. Elle n’avait pas bougé d’un pouce, elle aussi. Le tenancier la salua de la même manière qu’il l’avait fait, des années auparavant, ce qui arracha un sourire à la jeune femme. D’ailleurs, un coup du sort voulait qu’elle portât une robe longue d’un noir profond, et un manteau de fourrure similaire à son accoutrement d’alors. Aussi, elle ne s’étonna pas de voir le tenancier la reconnaitre, alors qu’elle prenait place au comptoir :


- Oh. Voilà longtemps que je ne vous ai pas vue. Que me vaut le plaisir, madame ?


La curiosité semblait habiter le gérant, et Elina devinait sans mal une certaine question lui brûler les lèvres. Les yeux bleus de l’homme chauve la parcouraient discrètement de pieds en cap, comme à la recherche d’un signe, d’un détail qui trahirait le pouvoir du fruit du démon. En effet, elle lui avait dit, lors de leur dernière rencontre, qu’elle cherchait à acquérir ce trésor de l’océan, non pas qu’elle le possédait déjà. Elle coupa court à l’inspection :


- Je vois avec plaisir que vous vous souvenez de moi ?
- Tout à fait. Votre précédente demande n’était... pas courante, madame. Vous revenez pour le même genre de requête ?
- Non, j’ai déjà obtenu ce que je désirai, décida-t-elle de lui révéler. J’aimerais que vous me montriez les vins que vous gardez en réserve. Celui que vous m’aviez servi, il y a quelques années, m’avait fait forte impression.


Comme elle s’y attendait, l’homme vif d’esprit comprit la manœuvre et l’invita dans une autre salle. Elle comportait une simple table, des chaises de bonnes factures et un simple luminaire au plafond. Sur tout un pan de mur s’alignaient d’énormes tonneaux, tandis qu’une autre porte se dessinait au fond de la pièce. Le tenancier invita les deux femmes à s’asseoir et servit trois verres de vin. Il prit place à son tour et, tout en jetant un regard curieux à Elina, lui demanda d’une voix amusée :


- Si je ne me trompe pas, vous étiez tout à fait à l’aise dans la salle commune, lorsqu’il s’agissait de l’achat d’un fruit du démon ? Je me demande bien ce que vous désirez savoir, pour demander un surplus d’intimité.
- Avant toute chose, comment se portent vos affaires, patron ?
- Puisque je commence à cerner le genre de personne que vous êtes, vous l’avez déjà deviné, n’est-ce-pas ? De même, votre prochaine question concernant mon avis sur la marine ou le gouvernement mondial est superflue.


Elina sourit de bonne grâce devant la perspicacité de l’homme. Il n’était pas à la tête d’un marché noir pour rien. Elle porta son verre à sa bouche, tandis que Seika préféra ne pas y toucher. La jeune fille n’appréciait pas l’alcool, à la différence de son frère et de sa patronne. L’araignée dégusta son millésime, d’aussi bonne qualité que dans ses souvenirs.


- Que diriez-vous que nous nous associons ? finit-t-elle par proposer, l’heure n’étant plus aux tergiversations apparemment.
- Et dans quel but, cette fois-ci ?
- Yakoutie island jouit d’une position extrêmement favorable, au sein de North Blue. C’est d’ailleurs sans doute la raison qui vous a poussé à ouvrir votre commerce ici ?
- Tout à fait. À l’époque, l’île appartenait aux civils. Mais lorsque des brigands et des pirates ont commencé à affluer pour bénéficier de mes services, ils ne pouvaient s’empêcher de piller et de ravager l’île...
- D’où l’intervention du gouvernement mondial, termina Elina.
- Et la baisse drastique de mon chiffre d’affaire. J’en suis réduit à jouer les barmen, la plupart du temps.


Pour se remonter le moral, l’homme commença à siroter son vin, lui aussi. Elina sortit de son sac une copie des notes de Seika, et les glissa sur la table en direction de son interlocuteur. Ce dernier posa les yeux dessus tout en buvant. Il en parcourut rapidement quelques lignes, avant d’écarquiller les yeux. Il reposa son verre sur la table et attrapa les feuilles à deux mains. Il termina sa lecture en silence, la mine grave.


- Cela provient du bureau du colonel ? demanda-t-il tout à coup.
- Ma charmante associée s’y est infiltrée lorsque nous avons ramené Mokuso.
- Le fameux « yéti » ? Impressionnant. Vous me garantissez la solidité de vos informations ?
- À cent-pour-cent, affirma Elina en souriant.


La scène n’était pas sans rappeler leur précédent échange, lorsqu’il avait trouvé des informations concernant le Kumo Kumo no mi. L’homme saisit la pique et sourit à son tour. Il reposa la liasse de papiers et reprit son verre, l’air songeur.


- Si je comprends bien, vous venez demander mon aide pour une affaire délicate ? Vous semblez avoir beaucoup de cartes en main... Mais je crois saisir ce qu’il vous manque : des relations.
- Et qui mieux qu’un homme tel que vous pour me faciliter cette tache ?
- Vous êtes une femme pleine de promesses. Cependant, je doute que ces informations suffisent pour ce que vous entreprenez. Car, je ne me trompe pas, vous désirez bouter les marines hors de l’île pour vous l’approprier ?
- Autant que faire se peut. J’aurais besoin de collaborateurs influents pour maintenir mon autorité et, surtout, afin que l’ile prospère.
- Le colonel risque de ne pas apprécier, c’est un homme colérique.


Le maître des lieux posa son doigt sur la liasse de papiers, avant de continuer :


- Ceci risque de le mettre dans une situation précaire. Mais le QG de la marine possède bien d’autres officiers.
- C’est pour cela que j’ai besoin de votre aide.


L’araignée sortit alors un deuxième petit paquet de feuilles, avant de les tendre au gérant :


- Je vais faciliter votre lecture, cette fois-ci. Ceci est un rapport concernant une mission datant de quelques jours. Elle visait un campement de bandits dans les montagnes et a échoué lamentablement. Le colonel aurait affirmé en public qu’il lançait une opération d’envergure pour déloger les hors-la-loi. Mais, devant cet échec cuisant, n’a pas donné de suites.
- Je m’en souviens, oui. Une déroute aussi humiliante que rapide. Ne me dites pas que vous voulez tenter votre chance ? De combien d’hommes disposez-vous ?
- Nous sommes trois. Mais je pense que nous devrions suffire à la tache, n’est-ce pas ? demanda-t-elle en se tournant vers Seika.


La jeune fille hocha simplement la tête, sans mot dire. Le barman les regarda comme si elles avaient perdu la raison. Avant qu’il ne tente de les dissuader, l’araignée reprit la parole :


- Selon le rapport, la troupe de marines aurait été décimée par des snipers, sur le flanc d’une montagne peu éloignée de la ville. Nous n’aurons qu’à progresser de nuit et, avec l’aide d’une petite distraction, nous pourrons régler le problème sans souci.
- C’est de la folie ! lança soudain l’homme.
- Si vous nous en croyez incapables, restez donc inactif à vous lamenter sur votre propre sort. Je n’ai pas besoin d’hommes, ni même d’armes. Je ne sollicite de votre part que des informations. Vous pourriez également aviser les commerçants et les habitants sur l’identité de leur sauveur, lorsque nous reviendrons.


Il ne semblait toujours pas convaincu, comme Elina s’y attendait. Après tout, il avait beau la savoir l’heureuse détentrice d’un fruit du démon, il ne pouvait pas s’imaginer qu’elle soit plus efficace, avec Seika, qu’une escouade de la marine. La femme d’affaire lui sourit froidement, avant de finir son verre.


- Faisons un marché. Lorsque je ramènerai la tête des bandits sur la place publique, ainsi que les biens volés, vous m’aiderez pour la fin des opérations.
- Madame, je ne veux pas avoir votre mort sur la conscience, se contenta-t-il de répondre. Mais... si par un miraculeux hasard, vous vous en sortiez vivantes toutes les deux, je peux vous assurer que vous auriez toute mon attention.
- Voilà qui est mieux. Nous avons assez trainé et la nuit tombe déjà. Nous nous reverrons demain matin.
- Vous partez maintenant ? manqua de s’étouffer l’homme.
- Le vin échauffe le corps, et j’y suis assez habituée pour qu’une simple coupe n’embrume pas mon esprit. Ne vous inquiétez pas pour moi.


Sans un mot de plus, l’araignée reprit ses documents et sortit de la pièce, laissant l’homme médusé. Les deux femmes rejoignirent rapidement leur auberge et se changèrent à la faveur de la lune. Elles adoptèrent des tenues blanches et chaudes. Elina ouvrit la marche par la fenêtre qui donnait sur le toit, et elles sortirent toutes les deux dans la nuit glacée. Elles rejoignirent rapidement Mokuso, qu’elles avaient convaincu de venir « jouer » avec elles dans les montagnes. Le plan était simpliste. Le liliputien possédait une armure aussi solide que l’acier, sous la forme d’une bête mythique. Il attirerait l’attention des bandits d’un côté de la montagne, tandis que les deux assassins s’occuperaient d’un travail plus sanglant. Le petit être naïf pensait qu’ils allaient punir de mauvais hommes qui auraient agressé les villageois. Cette vendetta était censée avoir été organisée afin qu’il se fasse pardonner d’avoir joué au Yéti sans autorisation.

Sans un bruit, le trio se dirigea vers la montagne où s’étaient réfugiés les hors-la-loi. Mokuso avançait rapidement, les deux femmes dans ses bras mécaniques. Lorsqu’ils arrivèrent aux pieds de la montagne, ils se séparèrent. Silencieuses et discrètes comme des ombres, Seika et Elina progressèrent à l’abri des arbres. Les grands pins dissimulèrent leur ascension, tandis qu’elles progressaient du côté opposé à Mokuso. Ce dernier avait pour consigne d’attendre leur appel par Den Den Mushi avant de commencer à gravir la montagne. Les deux femmes avaient acheté trois escargophones au supermarché local pour l’occasion. Elles finirent par arriver à la lisière de la forêt. Elles n’étaient alors qu’à la moitié de leur parcours, mais la suite se révèlerait surement bien plus ardue. Si l’un des flancs de la montagne, où se trouvait le petit être, grimpait en pente douce, leur côté était à pic. Une véritable falaise, aux prises enneigées et aux innombrables stalactites leur faisait face.


- Attends mon signal, Seika, murmura Elina à l’oreille de la jeune fille.


En silence, elle avança dans la neige à moitié courbée. Une fois arrivée sur place, elle se transforma en hybride et fourra ses gants et ses bottes à l’intérieur de son manteau, au grand dam de ses extrémités face au froid mordant de la nuit. Elle se força à progresser tout de même, un rien protégée par son exosquelette d’araignée. Elina entretissa une multitude de fils, tout en essayant de repérer un endroit exempt de dangereuses plaques de glace. Elle finit par abandonner l’idée, et dut se résoudre à se risquer sur un chemin un peu plus hasardeux qu’elle ne l’aurait désiré. De ses pattes arachnéennes, elle commença à grimper le long du mur de glace et de roche. Elle laissait derrière elle, à partir de l’orifice à soie au bas de son dos, un câble assez résistant pour supporter le poids de Seika. Après quelques petites frayeurs, sur des plaques de glaces instables, elle finit par arriver au sommet. Elle laissa dépasser sa tête, mais ne vit pas âme qui vive. Rapidement, elle finit de se hisser, à présent en nage, tout en haut de la falaise. Elle reprit ses gants et ses bottes, toujours en forme hybride. Une fois le câble bien enroulé autour d’un rocher, elle appela la jeune fille à l’aide de son Den Den Mushi. Elle ne décrocha pas, comme convenu, et bientôt l’araignée sentit qu’on tirait sur son fil.

Seika possédait une excellente forme physique, mais son ascension dura tout de même plus longtemps que celle d’Elina, facilitée par son fruit du démon. Les deux femmes se reposèrent un instant, éclairées par la simple lueur des étoiles. Une fois fin prêtes, elles se dirigèrent sans faire de bruit de l’autre côté de la montagne. Elles descendaient le col à pas comptés, ne sachant pas avec précision où se situaient les bandits, ni même les fameux snipers. Soudain, elles aperçurent au loin des reflets orangés. En se rapprochant elles constatèrent qu’il s’agissait d’un feu, qui éblouissait les abords d’une caverne dans lequel il avait été allumé. Elina fut la première à repérer trois sentinelles, assises devant la caverne à discuter. D’un simple regard, Seika comprit sa mission. Elle se déplaça furtivement, afin de prendre pied au dessus de l’entrée de la grotte, tandis qu’Elina se transformait en Nephila.

Les deux femmes coordonnèrent leurs mouvements, grâce à d’innombrables entrainements pour ce genre d’approche furtive. Elina grimpa le long des parois rocheuses, pénétra par le plafond au dessus des hommes et compta en réalité quatre adversaires. Avant qu’ils ne réalisent sa présence, elle atterrit au sol et se transforma soudain en hybride. Devant les regards estomaqués de ses camarades, elle réduisit en charpie la gorge du quatrième ennemi d’un coup de griffe. Les trois survivants se levèrent d’un bond, tandis qu’Elina se baissait. Au même moment, Seika sauta du haut de sa cachette et, d’un mouvement souple et précis, lança son kusarigama pour décapiter les trois personnes restantes. Leurs corps s’écrasèrent dans un bruit mat, sans qu’aucun cri ne soit lancé. Les femmes attendirent en silence un instant, mais aucune alarme ne s’éleva. Elina récupéra auprès de Seika ses couteaux de lancer, puis les deux assassins pénétrèrent en silence dans le repère des brigands.

Tous leurs efforts de discrétion se révélèrent un peu superflus. Les brigands organisaient apparemment une petite fête et beuglaient à s’en rompre la voix. Le couloir irrégulier, creusé à même la roche, laissait se répercuter leurs éclats festifs. Quelques torches vacillèrent lorsqu’une petite bourrasque s’engagea à l’intérieur, sans qu’Elina ou Seika ni accorde la moindre attention. Elles arrivèrent finalement au bout du tunnel et l’araignée préféra passer devant. Elle se transforma à nouveau en Nephila et grimpa au mur. D’un coup d’œil circulaire, elle embrassa la conformation des lieux. Le tunnel donnait sur une grande pièce, remplie de victuailles, de bancs et de tonneaux. Les bandits avaient élevés de véritables feux de joies, à l’aide de troncs d’arbres secs et de branches mortes. Elina compta une vingtaine d’ennemis semblables aux sentinelles de l’entrée, ainsi qu’un homme qui sortait du lot. Plus grand que ses camarades et à la musculature proéminente, il riait et buvait pour dix. Ses longs cheveux bruns cascadaient jusqu’à ses épaules tandis qu’une barbe hirsute lui mangeait les joues. Il était torse nu, dans cette salle chauffée par plusieurs brasiers, et ne portait qu’un pantalon bouffant et des bottes noires.

« Voilà sans doute le chef. Ils sont assez nombreux pour le moment, mais ces idiots sont complètement saouls. »

L’araignée retourna jusqu’à Seika et lui rapporta ce qu’elle avait vu. La jeune fille comprit sans souci la suite des opérations. Elles allaient les laisser s’enivrer un peu plus et, lors de la prochaine relève, passeraient à l’action. En attendant, les deux femmes retournèrent à l’entrée de la grotte et trainèrent les cadavres à l’extérieur. Elina appela Mokuso pour qu’il passe à l’action à son tour. Le liliputien lui répondit de sa voix claire qu’il ferait de son mieux. Les deux femmes sortirent dans la poudreuse et attendirent. Bien vite, elles entendirent des coups de feu s’élever, sur leur droite. Elles s’y précipitèrent et tombèrent nez à nez avec trois snipers, protégés de la neige par un abri précaire. Avant que les pauvres bougres ne comprennent, Seika en avait déjà tué deux avec sa faux, tandis qu’Elina achevait le troisième. Elles tendirent l’oreille, mais nul autre tireur embusqué ne semblait les attendre. Aussi, Elina rappela l’ingénieur pour le féliciter et lui demander de retourner à l’auberge. Les deux femmes regagnèrent l’entrée et utilisèrent les habits de leurs victimes pour éponger rapidement le sang. Puis, elles patientèrent en tendant l’oreille. Au bout d’un certain temps, elles entendirent des pas et des rires d’hommes leur parvenir. Elles restèrent assises tranquillement et, lorsque les bandits arrivèrent, Elina se leva avec un grand sourire :


- Bonsoir ! Nous nous sommes dit que vous auriez besoin de compagnie, en cette nuit bien froide ?


Les quatre hommes se regardèrent d’un air aviné, avant de sourire comme des benêts. L’alcool leur avait ôté le peu de faculté cognitive qu’ils semblaient posséder. Navrant. L’araignée laissa deux hommes s’approcher d’elles, leurs yeux illuminés par des idées malsaines. Au dernier moment, elle se transforma en femme-araignée et réduisit en charpie la gorge du premier. Le second, trop alcoolisé pour réagir à temps, reçut le même traitement quelques secondes plus tard. De son côté, Seika avait été tout aussi expéditives : un poignard dans la gorge du premier, et un coup de faux pour se second. Tranquillement, les deux femmes essuyèrent le sang qui les avait éclaboussées, avant de se diriger vers la salle de fête. Elles y pénétrèrent courbées en deux, le temps que Seika repère les brasiers les plus proches. Soudain, elle saisit son arme et lança le poids au bout de sa chaine sur les deux feux. Les buches qui soutenaient les édifices incandescents volèrent en éclats et propagèrent des braises partout dans la salle. L’alcool s’enflamma en un instant. Le bois des tables et des bancs s’embrasa, imbibés comme ils étaient. Les flammes vinrent même commencer à lécher les tonneaux dangereusement.

Des cris d’horreur et des hululements de douleurs s’élevèrent dans la salle, tandis que des hommes couraient, transformés en torches humaines. Les deux femmes se séparèrent et traversèrent les rangs des infortunés. Elina frappa de ses griffes les hommes qui avaient échappé aux flammes. L’effet de surprise finit par disparaitre, mais le chaos dans lequel était plongé la salle, ainsi que les litres de boissons qu’avaient ingurgités les mécréants ne les aidèrent pas. Seul le chef des bandits sembla garder la tête sur les épaules. Il tenta d’organiser ses troupes, jusqu’à ce que Seika n’essaye de lui trancher son bras tendu, depuis le milieu de la salle. Il esquiva le croissant d’acier d’un bond en arrière et se cogna contre le mur. Il hurla de rage à la vue des deux femmes et des restes de sa bande. Seules une poignée de bandits, à moitié dénudés et ivres persistaient.

Seika commença à les harceler de son Kusarigama, tandis que le chef fonçait sur Elina. La jeune femme esquiva sa charge furieuse et lui lança un couteau dans le mollet. L’homme cria et s’arracha l’arme de jet d’un geste rageur, avant de la renvoyer à Elina. Tandis qu’elle esquivait, le bandit trouva la force de réitérer sa charge. Elina sauta sur une table, avant de rebondir par-dessus lui. Le brigand pulvérisa le meuble, mais écopa de plusieurs couteaux dans le dos. Il hurla de douleur et fonça de nouveau. Mais, cette fois, il changea de trajectoire au dernier moment, à la grande surprise d’Elina. L’araignée encaissa son énorme coup de poing en plein ventre et fut projetée contre un mur. Elle eut à peine le temps de se remettre du choc que l’homme était de nouveau sur elle. Il lui asséna un violent direct du droit dans la tête, qui l’envoya voltiger contre une table où elle s’effondra en silence, les yeux révulsés.


- Elina ! hurla Seika d’une voix déchirée, ce qui attira l’attention du chef.


La jeune fille, pendant ce temps, en avait terminé avec les subalternes du colosse. Elle se mit en garde, faisant tournoyer sa lame de Kusarigama. L’homme ricana sauvagement à la vue de la petite fleur :


- C’est ça qu’on envoie pour nous tuer ?! Deux gonzesses ! J’vais m’occuper de toi, ma jolie ! Ça sera pire si tu te débats ! Aller, viens donc...


Sa phrase s’acheva, bien malgré lui, sur un hoquet de douleur. Il cracha du sang avant de regarder sa poitrine avec horreur. Quatre pics ensanglantés en ressortaient à présent. Il tenta de les attraper, mais Elina retira ses appendices d’entre ses cotes avant. Le bandit tomba à genoux en vomissant du sang. Il peinait à présent à respirer et ne put que jeter un regard haineux à Seika, lorsqu’elle lança son Kusarigama pour décapiter le dernier ennemi vivant. L’araignée se massa la tempe. Malgré son exosquelette résistant, le coup de l’homme l’avait bien amochée. Fort heureusement, elle savait mimer la perte de connaissance ou la mort avec une grande fidélité... tout comme les véritables araignées.


- Ta prestation était parfaite, Seika. J’ai failli moi-même y croire.
- Je me suis exercée, répondit simplement la jeune fille en rougissant.


Elina lui sourit distraitement, avant de chercher des yeux d’éventuels survivants. Mais les deux femmes étaient on ne peut plus efficaces : le massacre était total. Elles se dirigèrent vers un autre tunnel, creusé au fond de la salle. Elles espéraient bien y trouver le fruit des rapts des bandits, et ne furent pas déçues. Un véritable petit trésor était amoncelé au fin fond de cette caverne ! Les assassins se mirent bien vite au travail et rassemblèrent toutes les richesses volées dans d’énormes sacs de toiles. L’araignée était presque peinée de devoir rendre ce pécule, mais cela était nécessaire pour attirer les bonnes grâces des habitants. En partant, elles n’oublièrent pas la tête du chef et laissèrent les flammes finir de consumer les lieux. Elle avait hâte de contempler l’air éberlué du chef du marché noir.






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Pour une fois, Elina se contentait d’eau et non de vin. Ses récentes prouesses lui avaient ouvertes les portes des maires de l’île. Grâce à ses contacts, le maître du marché noir avait réussi à l’insérer discrètement dans une réunion, tenue dans la mairie de la plus grande ville de l’île. Les sujets à l’ordre du jour étaient multiples, mais tous présentaient de forts intérêts pour l’araignée : les bandits, la sécurité de l’île, le développement économique de Yakoutie Island et, bien sûr, sa propre personne. Après son coup d’éclat sur la place publique, le matin même, les maires avaient tous cherché à la rencontrer pour la remercier. Son nouvel associé n’avait donc eu aucun mal à lui faire passer les portes de la salle ovale, où étaient à présent attablés une dizaine de politiciens. En y repensant, Elina ne put s’empêcher de sourire...

Seika et elle-même étaient descendues de la montagne, chargées des biens des villageois ainsi que d’une tête reconnaissable entre mille : celle du chef des bandits. Elles étaient arrivées de bonne heure, s’étaient dirigées sur la grande place de la ville portuaire de Yakoutie et y avaient déposé leur butin. Elles s’étaient donc trouvées juste devant le QG de la marine, lorsque les premiers cris s’étaient élevés à la vue de la tête du brigand fichée sur une pique. Les marines étaient sortis, éberlués, avant d’aller chercher le colonel Leif. Celui-ci n’en avait pas cru ses yeux et avait bredouillé quelques compliments. Sa question « Tout est bien ici ? » avait presque fait sourire Elina, sachant pertinemment ce qu’il recherchait alors. Elle s’était contentée d’acquiescer, puis avait demandé à ce qu’on lui amène un expert comptable ou un notaire, afin de partager équitablement le trésor des bandits avec la population locale. L’officier s’était renfrogné instantanément, mais Elina savait qu’il ne pouvait rien dire devant cette action de bonté, en tant que représentant de la Justice. L’argent avait donc été comptabilisé grâce à un petit homme au nez camus, qui le distribuerait dans les jours à venir.

L’araignée revint à la situation présente lorsque les maires commencèrent leurs discours de remerciement. La jeune femme accueillit les compliments avec un sourire gracieux et attendit la suite. Quelques hommes émirent des commentaires sur l’inefficacité de la marine et la chance qu’ils avaient qu’une aventurière se soit intéressée à leur cas. D’autres tentèrent mollement de défendre les soldats, mais ne semblaient guère convaincus eux-mêmes. Les discussions progressèrent et durèrent plusieurs dizaines de minutes. Le sujet dériva finalement sur l’essor financier et l’avenir de Yakoutie Island. Ces politiques semblaient peiner à développer le commerce de leur ile, enveloppée comme elle l’était par une aura d’insécurité à cause des bandits et des pirates, mais aussi de la difficulté d‘accès du fait de la banquise. Le débat était clairement ancien, car tous étaient à bout d’arguments avant même cinq minutes. Silencieuse jusqu’à lors, l’araignée leva la main bien distinctement, afin d’attirer l’attention. Lorsque le chef de la réunion lui accorda la parole d’un air surpris, elle se leva doucement :


- Messieurs les maires, je vous écoute débattre depuis un moment et j’ai bien peur que cela ne confirme mes craintes. Votre île se meurt.


Quelques grommellements accueillirent cette déclaration, mais les hommes se turent à la demande du président de l’assemblée. Ce dernier l’invita à poursuivre :


- Ce n’est que la vérité crue, mais je comprends qu’elle vous indispose. Les raisons en sont simples et vous les avez déjà toutes passées en revue. Toutes sauf une, dont j’ai moi-même pris connaissance ce matin...
-Vous venez à peine d’arriver sur l’île, très chère, l’interrompit un homme replet avec un monocle. Vous pensez avoir mieux cerné le problème que nous tous réunis en plusieurs années ? Vous ne manquez pas de toupet !
- Malheureusement, monsieur le maire, vous ne pouviez pas avoir accès à ce genre d’information...
- Et pourquoi donc, jeune fille ? l’interrompit-il à nouveau d’un ton suffisant.


L’araignée lui sourit, préférant laisser couler la pique. L’homme rougeaud possédait un certain embonpoint qu’il cachait dans un costume de bonne qualité. Ses favoris taillés avec minutie tressaillirent lorsqu’elle le fixa de ses yeux noirs. Malgré la situation, certains ne se refusaient rien... Elle répliqua calmement :


- Pour la simple et bonne raison que cette information était détenue par les bandits. Ces malfrats dont, mon associée et moi-même, nous vous avons débarrassés cette nuit étaient loin d’être des idiots.


Un silence de mort tomba sur la salle. Lorsqu’elle fut certaine d’avoir retenu l’attention de tous les hommes ici présents, elle leur fit passer plusieurs feuilles, avant de reprendre la parole d’une voix claire :


- Ces notes sont des copies de celles qui proviennent du repère des hors-la-loi. Vous y trouverez l’accord qu’ils ont passé, à l’initiative de la marine locale, pour négocier un cessez-le-feu...
- C’est grotesque ! s’époumona le même gentleman en retirant son monocle. Et vous espérez nous faire avaler ces inepties ?!
- Je n’espère rien, monsieur le maire, répondit Elina d’une voix mesurée. Si j’ai demandé à être invitée à cette réunion, la raison en était on ne peut plus simple : je voulais vous avertir du jeu dangereux utilisé par le colonel Leif.


Avant que cet empoté ne s’emporte de nouveau, le président de l’assemblée coupa court à la prise de bec en demandant un peu de calme. Une fois qu’il l’eut obtenu, il reprit la parole d’une voix douce :


- Madame, nous vous sommes très reconnaissants de nous avoir ôté cette épine du pied. Mais je vous demanderais de ne pas tenir de telles accusations sans preuves tangibles.
- Croyez bien que si tel était le cas, je ne me serais pas donné cette peine, indiqua l’araignée d’un ton ennuyé. Puis-je inviter un professionnel pour étayer mes dires ?
- Et bien... commença le président, en parcourant l’assemblée du regard.


Ne notant aucune réelle objection, il acquiesça. Elina demanda alors à Seika, jusqu’ici restée derrière la porte, de faire entrer son témoin. Elle invita donc l’expert comptable qu’elle avait rencontré le matin même à s’avancer. Le petit homme tremblait légèrement devant les regards intrigués, voire inquisiteurs, des maires attablés devant lui. Il se racla la gorge et prit la parole d’une voix chevrotante :


- Messieurs les maires, bon-bon-bonsoir... Hum. Je viens... je viens vous faire part d’une nouvelle grave.
- Allons bon ! Vous vous êtes laissé embarquer dans les sornettes de cette femme, Aaron ?
- Laissez-le donc parler, Abitbol ! le réprimanda son voisin, un homme aux teint cireux et aux cheveux poivre et sel.


Le maire au monocle se renfrogna et croisa les bras. L’expert comptable continua :


- P-pour répartir au mieux les richesses rapportées au sein d-d-des habitants, j’ai dû ouvrir le... le registre des plaintes. J’y consigne tous les rapports de vols commis dans le village avec une extrême précision et... Euh... Et bien, il s’est trouvé qu’il me restait encore énormément d’or après avoir rendu ce qui avait été volé.
- Ces bandits avaient également attaqué d’autres villages, ne serait-ce pas là une piste ? demanda aimablement un petit homme sec.
- J’y ai pensé... monsieur le maire. Mais... et bien, même après concertation avec mes collègues... Nous avons retracé tous les cols commis par cette bande, soyez-en sûrs ! Et bien, je... il m’en restait plus de la moitié.
- Combien cela représente-t-il ?
- Pas loin de v-vingt millions de Berrys.
- Combien ?! s’étrangla Abitbol. Impossible ! Nos concitoyens ne peuvent pas avoir été autant saignés à blanc ! Ils ont dû attaquer des bandes rivales !


Son coup de sang ravit l’araignée. Elle le regarda d’un air affecté et, d’une voix pleine de regret, lui répondit :


- C’était également ma conclusion, monsieur le maire. Malheureusement, cette somme concorde avec les notes dont je vous ai fait part. Selon un bref calcul de ce monsieur ici présent, elle représenterait plusieurs mois de pot-de-vins.


Les maires prirent tour à tour des expressions scandalisées, atterrées ou éberluées. Certains n’y croyaient guère, d’autres éructaient tout leur ressentiment envers une marine incompétente et les derniers en perdirent leur langue. Le président de l’assemblée ramena à grand mal le calme dans la salle. Lorsqu’il y parvint enfin, il se tourna vers le comptable, qui triturait sa chemise nerveusement.


- Aaron, mon ami... es-tu certain de ce que tu avances ?
- P-parfaitement... Je suis... je suis formel, Rollon. Tout concorde.


Un silence grave s’appesantit une nouvelle fois. Le président de l’assemblée s’épongea le front avec un tissu, qu’il reposa dans sa poche de pantalon. Son corps sec tremblait presque, agitant ainsi sa chemise blanche et sa cravate noire. Au bout d’un certain moment, Rollon s’adressa directement à Elina, la fixant de ses yeux bleus :


- Très bien. Supposons que cela soit l’entière vérité, comme je crains qu’elle le soit... Que comptez-vous faire, mademoiselle ?


Elina prit une expression étonnée, bien qu’elle se soit attendue à pareille question en réalité :


- Que voulez-vous dire, monsieur maire ? Je tenais simplement à vous mettre en garde.
- Et comment pensiez-vous que nous allions réagir ? l’interpella Abitbol. Sauter de joie, peut-être ?! Vous savez très bien ce que ces marines ont fait. Ils nous ont trompés, volés et au lieu de punir ces hors-la-loi, ils les ont soudoyés lâchement pour ne pas avoir à se battre !
- Techniquement, ils se sont battus... mais ont été balayés, rappela son voisin.
- Encore pire ! fulmina le maire replet. Lâches et incompétents !
- Abitbol, du calme, le raisonna Rollon. Mademoiselle, comprenez la situation fâcheuse dans laquelle vous nous placez. Vous venez de nous montrer le véritable visage de nos « protecteur », mais nous sommes contraints de nous en remettre à eux pour assurer notre sécurité. Sans leur présence, nous serions sans doute morts ou affamés.
- Nous voilà donc simplement tondus et ridiculisés... Quand je pense que nos impôts servaient à graisser la patte de ces scélérats ! reprit avec humeur le maire enrobé. D'ailleurs cela n'a pas fonctionné, ils nous ont attaqués encore, voilà à peine deux semaines !
- Nous ne pouvons tolérer cela, déclara simplement un autre maire aux cheveux bruns frisés et aux yeux verts perçants. Il faut chasser ces traitres.
- Et comment nous défendrions-nous alors ? Il reste bien d’autres bandes de brigands et de pirates ! rappela Rollon.
- Bin tiens, la solution est devant tes yeux ! clama Abitbol.


Ce faisant, il désigna Elina de son doigt boudiné, avant de continuer d’un ton acide :


- Des années que ces pirates et ces bandits sont à nos portes. À part ce lieutenant de la marine, arrivé il y a de ça cinq ans, le gouvernement mondial n’a pas bougé le petit doigt pour nous ! Ils l’ont même muté ailleurs, lorsqu’il a fait un peu trop de zèle en envoyant ses hommes au front ! Cinq ans que nous supportons les rapts et les descentes. Cette jeune femme arrive et, en quelques jours, elle nous libère d’un Yéti et d’une bande de scélérats... avec une seule autre alliée ! DEUX jeunes filles sont plus efficaces qu’une escouade tactique de la marine !
- À vrai dire nous étions trois, intervint Elina. Mokuso nous a prêté main forte.
- Le yéti ? s’estomaqua le voisin d’Abitbol.
- C’est un liliputien, ingénieur de surcroît, et qui désirait se racheter pour vous avoir effrayé de la sorte.


L’araignée était ravie de la situation, et ne pouvait s’empêcher d’attiser les flammes du bucher de la marine. Elle devait se retenir de paraitre trop heureuse, néanmoins. Après tout, elle devait avoir l’air affectée et préoccupée par le sort des villageois pour que son plan se déroule sans accroc. Mais elle semblait toucher au but ! Les éclats de voix redoublèrent et, lorsque Rollon tenta de ramener le calme une n’ième fois, Elina l’y aida. Le président reprit enfin la parole d’une voix sans appel :


- Soyons clairs. Je ne risquerai pas une seule seconde la sécurité de nos concitoyens. Et je suis certain qu’il en va de même pour vous tous.


Devant une réponse unanimement positive, il continua :


- Mademoiselle, vous nous avez aidés sans rien attendre en retour jusqu’ici. Pourquoi donc ?
- Je ne suis pas désintéressée, ne croyez pas cela de moi, monsieur le maire. Je suis une femme d’affaire avant tout. En considérant la localisation de Yakoutie Island sur North Blue, il est évident qu’elle devrait tenir une place centrale dans tout le négoce de cette mer. En arrivant ici, j’espérais pouvoir aider à développer le commerce en installant des ports, des entreprises et en prenant part activement aux progrès de l’île. Mais, lorsque j’ai constaté votre détresse, cela m’a rappelé qu’avant d’espérer prospérer, une ile devait être exempte de tout danger et ses habitants libre de profiter des bienfaits de leur terre natale. Voilà pourquoi j’ai décidé de m’en prendre à ces hors-la-loi, lorsque j’ai appris leur existence.
- Cela ne représente qu’une petite partie des parasites qui nous privent de la jouissance de l’île, mais nous vous en sommes reconnaissant à nouveau. J’aimerais vous poser une question, mademoiselle. Vous dites voir en notre ile un certain potentiel, et vouloir entretenir des rapports commerciaux avec nous ?
- Tout à fait.
- Ne seriez vous pas déçue que l’île soit abandonnée aux brigands, vous aussi ?
- On ne peut plus déçue, oui. Pourquoi donc ?


Le maire parcourut les visages de ses collègues et, devant leur acceptation muette, servit sur un plateau d’argent à l’araignée ce qu’elle souhaitait depuis le début :


- Accepteriez-vous de nous aider à nous défendre à nouveau ? Jusqu’à ce que nous trouvions une solution à cette fâcheuse situation ?


Elina se composa un visage surpris, puis fit mine de réfléchir. Elle finit par répondre :


- Je pense même pouvoir faire mieux. Bien que je n’ai rien à voir avec ce genre d’engeance, je sais que certains pirates se réclament « protecteurs » de certaines îles. Avec votre accord, je pourrais jouer pareille fonction, étant donné que je comptais m’installer ici pour développer mes affaires, de toute façon.


Les maires applaudirent sobrement la proposition, signant ainsi leur lente mais certaine perte de pouvoir sur l’île. Rollon reprit la parole d’une voix grave, une fois encore :


- Très bien, ce problème étant réglé... votons. Que ceux qui sont pour l’expulsion de la marine de nos terres lèvent la main.


Devant le résultat de ce premier tour, les maires n’eurent pas besoin de demander si quelqu’un était contre. La mention fut acceptée à l’unanimité. Il ne restait qu’un détail à régler, mais les maires s’empressèrent d’ôter cette épine du pied de l’araignée :


- Laissez-moi leur annoncer, déclara Abitbol. Je vais y aller de ce pas, moi !
- Non, mon ami. Nous irons tous ensemble. Nous les convoquerons et nous leur exposerons les faits. Ne vous inquiétez pas, mademoiselle, nous ne vous mentionnerons pas. Devant leur passé pour le moins révoltant, j’ai peur qu’il ne vous cherche des ennuis.
- Je le crains aussi. J’accepte votre proposition avec plaisir, mais le colonel n’est sans doute pas sot : je suis la seule à avoir eu accès au repaire des brigands.
- Nous nous débrouillerons, ne vous en faites pas. Nous savons nous montrer persuasifs.


Sur ces bonnes paroles, l’araignée leur remercia de nouveau. La séance se termina peu après, sans autre surprise, et il fut décider d’annoncer à la population la décision du conseil après l’expulsion de la marine. Elina les salua tous et leur souhaita une bonne fin de soirée, avant de s’éclipser. Elle retrouva Seika à l’extérieur et toutes deux partirent en direction de l’auberge. Les flocons blancs s’amoncelaient sur ses cils et sa chevelure d’ébène, tandis qu’elle promenait son regard sur les rues ensommeillées de Yakoutie Island. La jeune femme sourit. L’ile avait décidément beaucoup de potentiel. Elle mit rapidement Seika au courant de la situation, qui félicita sa patronne. Après la marine, il lui suffirait de peu à peu attirer le pouvoir à elle, puis elle finirait par s’en emparer complètement. Enfin arrivées à l’auberge, les deux jeunes femmes se retirèrent dans la chambre d’Elina et discutèrent des quelques détails qui restaient à traiter :


- Je pense pouvoir négocier avec les maires une partie des revenues de l’ile, en tant que budget pour la défense. La marine les taxait à presque 5% de leurs revenus, pour entretenir leur base et leurs troupes, selon l’expert comptable. Je pense m’attirer leurs bonnes grâces en descendant à 3% ?
- Je pense que 2.5% serait amplement suffisant, lui conseilla Seika. Et puis, dans la tête des gens, cela représenterait moitié moins ! La différence est minime, pour nous. Alors que, pour eux, le geste compterait, je pense.
- Il faudra de toute façon en discuter avec les maires. Tant que je ne les aurais pas écartés définitivement, je devrais passer par leur autorité pour certains sujets. Mais je pense qu’ils me donneront carte blanche pour la défense de l’île et le développement commercial. Ainsi, si mes plans sont justes, les citoyens verront leur mode de vie changer du tout au tout. Et en mieux, cela va sans dire. Nous verrons bien comment se dérouleront les prochaines élections, après cela !


Les deux femmes étaient épuisées, après les événements de la nuit et de la journée. Elles se séparèrent en se souhaitant bonne nuit. Par habitude, Elina tissa des toiles sur les poignées de porte et de fenêtre, afin d’être avertie si quelqu’un tentait de s’introduire dans sa chambre. Elle doutait néanmoins que la marine ose tenter quoi que ce soit à son encontre. Elle avait hâte que le soleil se lève. Écarter la marine lui avait déjà apporté une grande satisfaction, mais plus grande encore serait celle de transformer l’île à son image, peu à peu, et de se faire acclamer pour cela. Oui, l’araignée avait de grands projets. La mutation de l’île ne faisait que commencer.






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Elina souriait sous cape. Voilà plusieurs minutes que le colonel Leif et l’assemblée des maires échangeaient leurs points de vue respectifs. La Grand-Place, devant le QG de la marine était donc le siège d’une joute verbale aussi bruyante qu’inopinée, en ce beau matin. Mais, de toute évidence, les civils ne plieraient pas. L’araignée n’était pas peu fière de son travail pour saper l’autorité du gouvernement mondial sur l’île. Elle n’avait même pas eu recours à de fausses preuves, ni même eut besoin de maquiller les faits : les marines locaux avaient eux-mêmes signé leur expulsion. Cependant, en regardant les visages ahuris des soldats de faibles rangs, Elina commençait à soupçonner le colonel d’avoir passé un accord avec les bandits dans le plus grand secret. Néanmoins, le maire bedonnant nommé Abitbol ne laissait pas vraiment le temps aux soldats de s’expliquer. S’il en avait eu la force physique, la jeune femme était persuadée qu’il les aurait jetés à la mer de ses propres mains. La puissante voix du haut gradé de la base la tira de ses réflexions :

- Vous rendez-vous compte de ce que vous êtes en train de faire ?! Vous tournez le dos au gouvernement mondial, après avoir sollicité son aide ! C’est un outrage, et je ne laisserai pas passer cela !
- Bah tiens ! répliqua Abitbol. Quand il s’agit de civils on fait le fier, mais lorsque vous deviez vous battre contre des bandits, vous préfériez les soudoyer !
- Encore une fois, je ne vois pas de quoi vous voulez parler ! tenta de bluffer le colonel, sans grand succès.
- Messieurs, la discussion n’a pas lieu d’être, coupa d’une voix forte mais maîtrisée un politicien maigre aux cheveux frisés. Nous avons délibéré dans la nuit, lorsqu’il a été évident quel genre de... bassesse vous aviez commise. Vous êtes séant bannis de notre île, et nous retournons tous à notre liberté.
- Vous courrez à votre perte, plutôt ! s’époumona Leif. Lorsque les pirates et les bandits l’apprendront, vous reviendrez vers nous de nouveau ! Ne soyez pas idiots, et reconsidérez...
- Il suffit ! le coupa un autre maire. Nous aurons recours des protecteurs compétents pour assurer notre protection. Depuis plus de cinq ans vous n’avez pas fait le moindre progrès, et vous avez même utilisé nos impôts pour payer ces forbans, au lieu de les traduire en justice ! C’est tout simplement une honte !


À ces mots, des huées commencèrent à s’élever depuis la foule qui, peu à peu, s’était amassée autour de l’Igloo. Les marines reculèrent, certains se mirent même en garde. Avant que la situation ne dégénère, le colonel Leif ramena de l’ordre dans ses troupes et se tourna vers l’assemblée, présidée par Rollond. Ce dernier restait silencieux, mais n’en pensait pas moins que ses collègues, Elina le savait. Lorsqu’à bout d’argument le colonel leur somma de leur révéler leur informateur, il prit néanmoins la parole :


- Colonel, avec tout le respect que je vous dois, nous n’avons pas à vous répondre. Il est de notre droit de choisir de mettre fin à notre participation au gouvernement mondial, tout comme nous avions sollicité votre aide. Nous avons tout simplement fait le bilan de ces dernières années ; et il était calamiteux, pour rester poli.
- C’est cette femme ! devina soudain le marine. J’en suis certain, elle vous a monté la tête avec des mensonges !
- L’aventurière n’est en rien responsable de votre traitrise ! Au contraire, elle a réparé vos erreurs en nous rapportant nos biens et en tuant cette bande de mécréants ! Ce sont tout simplement nos comptes qui ont révélé votre supercherie et votre lâcheté !
- Mensonges ! s’entêta-t-il. Cette femme est une ennemie de la justice ! Selon le décret Decima, vous vous devez de nous la remettre !


La foule, déjà passablement énervée à l’annonce du pacte secret de la marine, se mit à les insulter copieusement. Elina avait un brin délaissé les civils, pour se concentrer sur les commerçants et les politiciens. Mais, sur toutes les îles, les nouvelles locales circulaient vite. L’annonce selon laquelle deux femmes avaient occis une bande de malfrats et ramené leurs trésor, là où la marine avait échoué, s’était répandue comme une trainée de poudre. Après des années à subir les vols et les descentes des bandits, et à se heurter à une marine inactive... voir leur « sauveur » se faire calomnier en était évidemment trop. La vendetta populaire fit blêmir les marines, lorsqu’une pluie de quolibets et de huées tomba drue sur eux. Par mesure de prudence, l’araignée préféra se cacher à l’intérieur du premier bâtiment à portée. Elle ne se sentait absolument pas de taille à combattre le colonel et ses hommes sans avoir recours à son fruit du démon. Or, la populace n’était pas encore prête pour ce genre de spectacle...

Elle pénétra donc dans un magasin et se dissimula au sein des rayonnages. Le revers de la médaille de ce plan était qu’elle ne pouvait plus suivre les discussions mais, vu la tournure des événements, cela lui était inutile. Après d’interminables débats, qu’elle suivait sans en comprendre un traitre mot grâce à des éclats de voix et des huées, le calme sembla revenir peu à peu. Le silence pesant se prolongea de longs moments puis, à nouveau, des vociférations s’élevèrent. Derrière une étagère présentant des services à thé, Elina regarda par la fenêtre en essayant de ne pas se faire apercevoir. Elle vit, devant ses yeux rieurs, défiler une lente procession de marines défaits. Le drapeau en berne, ils se dirigeaient à pas lents et la mine sombre vers le port. Tous portaient des caisses, des sacs et leur équipement au grand complet. Précautionneuse jusqu’au bout, elle retourna au fin fond du magasin et attendit que toute la foule soit partie. Alors seulement, elle se risqua dans la rue déserte. Elle retourna à son auberge et y attendit sagement que l’orage finisse de s’éloigner.

Les heures passèrent, et elle s’occupa en discutant avec Seika, tandis que Shiro dormait encore à cause de son abus de boisson de la veille. La jeune fille à la chevelure blanche l’entretint des relations qu’elle avait tissées au sein de l’île, notamment avec Mokuso. Ce dernier était tout acquis à leur cause, grâce à la candeur et à la gentillesse de Seika, mais aussi et surtout, à cause de la naïveté du liliputien. La porte de l’établissement s’ouvrit soudain, laissant entrer Rollond. Elle se leva, mais il lui demanda avec un sourire de rester assise. Il vint les rejoindre toutes deux et commanda une chope de bière, tandis que les deux femmes reprenaient du chocolat chaud amer.

- Les marines sont enfin partis. Le colonel a bien fait des siennes jusqu’au bout, mais Abitbol a fini par avoir raison de sa faible patience. Il n’a pas arrêté de dire que nous allions le regretter, et n’a pas même chercher à s’excuser de son accord avec la bande de hors-la-loi.
- Les marines ont la tête dure, commenta simplement Elina.
- C’est bien vrai, ma foi. Toujours est-il que vous êtes officiellement des nôtres, à présent, en tant que protectrice de Yakoutie Island. Toutes mes félicitations.
- Je tâcherai d’être à la hauteur de vos attentes, minauda l’araignée. J’ai beaucoup de projets pour améliorer la sécurité de l’île, voir même en développer le commerce !
- Chaque chose en son temps. D’abord, votre mission sera de réitérer votre exploit avec les autres parasites de notre île. Ensuite seulement, nous écouterons vos requêtes en tant que femme d’affaire, et nous statuerons sur leur intérêt.


Elina n’apprécia guère ce ton, même si elle comprenait bien que l’homme ait besoin d’imposer des limites claires dès le début, après sa mauvaise expérience avec la marine. Elle laissa donc glisser ce point noir, pour mieux y revenir un autre jour. Pragmatique, elle posa tout de même une question qui lui brûlait les lèvres :


- À propos, de quel budget disposé-je, afin de sécuriser l’île ?
- Et bien... je dois en discuter avec mes collègues, mais nous ne pouvons pas vous accorder plus que ce que la marine nous demandait.
- C'est-à-dire ?
- Ils nous taxaient cinq pour-cent de nos recettes, pour assurer notre sécurité.
- Je pense pouvoir me contenter de la moitié, monsieur le maire.
- Vous êtes un cadeau des dieux ! s’exclama Rollond en riant.


Il leva son verre et porta un toast :


- À Yakoutie Island, et à notre future collaboration !
- À Yakoutie Island, et à notre future collaboration ! lui firent écho les deux femmes en souriant.


C’est ainsi que le sort de l’île fut scellée. Condamnée à devenir l’épicentre des opérations de la femme araignée. Néanmoins, cette dernière ne mentait pas lorsqu’elle affirmait vouloir développer le commerce et pacifier l’île. Elle avait de grands projets et ne laisserait personne se mettre en travers de sa route. Personne. Pas même Rollond, ni même les autres maires. L’île finirait par lui revenir entièrement, mais elle devait se montrer patiente. Si elle se précipitait, elle risquait de laisser ce trésor lui glisser entre les doigts. Elle ne pouvait le permettre ! Aussi, elle souriait, buvait et trinquait avec l’homme qu’elle prévoyait d’écarter, lorsque le moment serait venu. Son statut de protectrice de l’île lui permettrait d’attirer la sympathie des villageois et, quoi qu’en dise Rollond, elle se doutait qu’elle pourrait déjà commencer à installer divers commerces sur Yakoutie. Surtout si la population locale plébiscitait les services qu’elle pouvait rendre, afin d’améliorer leur quotidien... Ou tout du moins le croiraient-t-ils. Car l’araignée arriverait à se jouer de leurs sentiments et de leurs attentes, pour les attirer dans sa toile. Elle en était persuadée.






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