« Ah, il a bugué », se dit d’abord la Olsen. Puis elle comprit. Elle comprit ce qu’il se passait réellement, et l’effroi l’envahit à son tour tandis que l’homme qu’elle le Directeur commença à convulser sur le sol. Elle s’approcha de lui rapidement, et fit appel à tous les souvenirs qu’elle avait sur la première approche d’une personne qui fait une attaque cardiaque. A l'instant, loin de toutes les considérations pour ses potentielles promotions, elle n’avait jamais douté d’une chose : Ayme Ko était essentiel à la suite de ses plans, à sa montée en grade. Bien sûr que si elle revenait sans lui, elle serait suspecte. Bien sûr qu’il était l’homme de la situation. Elle avait été stupide de tout lui dévoiler d’un coup. Ce n’était pas un homme de terrain. Elle pesta, mettant l’homme en position de sécurité alors qu’il convulsait.

Finalement, il fit une crise cardiaque. Elle commença le massage immédiatement, mit en œuvre tout ce qu’elle savait dans ce domaine. Elle n’était pas médecin, mais son cerveau était brûlant, incapable de se focaliser sur une autre tâche que de sauver l’homme en face de lui. Finalement, tenter de lui refiler cette responsabilité avait été la goutte d’eau qui avait fait déborder un vase déjà trop rempli à cause de cette mission. On lui donnait une opportunité de le laisser mourir, mais c’était hors de question. D’ailleurs, la jeune femme gardait son calme malgré l’effroi, disant sur un ton ferme :

- Tu ne mourras pas sous ma garde !

Elle se donna tout le mal qu’elle pouvait. « Il doit repartir. » se dit-elle. « Ce cœur doit repartir. ». Il n’avait pas intérêt à la lâcher. Elle était si proche du plus gros coup de sa carrière, du moins le pensait-elle. Pendant les cinquante prochaines années, elle affronterait sûrement des adversaires redoutables, mais c’était le point d’orgue qui la propulserait sur la place de la Direction. Cependant, pas dans ces conditions. Pas comme ça. Pas sans qu’elle n’ait réussi à utiliser ce Directeur jusqu’à la moelle.

Lidy avait été de plus en plus énergique, et avait finalement ramené le Directeur à la vie… Enfin « ramené à la vie » était un bien grand mot. Il était de toute évidence revenu d’entre les morts en ayant perdu une partie de lui-même. Serait-il vraiment d’une grande utilité ? Devrait-elle se débarrasser de lui ? Non, bien sûr, elle n’envisageait pas cette solution sérieusement. Elle lâcha un soupir de soulagement quand elle le vit revenir, mais savait qu’elle n’avait pas gagné un allié dans l’histoire. Il était convaincu que le chemin qu’ils empruntaient allait le mener vers la mort, d’un côté comme de l’autre. Les embranchements s’étaient cependant refermés, et seule la conviction subsistait, comme si le combat ne valait plus la peine d’être mené. Devait-elle le rassurer ? Elle n’était pas sa mère… Ah, elle ne savait pas quoi faire.

Lorsqu’il demanda où ils devaient aller, elle répondit très succinctement :

- Marijoa.

Avant de suivre le Directeur. Il ne lui dit pas où se trouvait le matériel, et elle ne le lui demanda pas. Il n’y avait pas besoin d’y avoir de faux semblants, à présent. Rien à cacher ? En réalité, elle se disait qu’elle avait cassé un collègue qui aurait pu l’aider… Quelle déception. Cette quête vers le succès avait fait une vraie victime dans la personne de Ayme Ko. Espérant qu’il se relève, elle le suivrait, silencieuse comme la mort. Elle avait l’impression d’avoir échoué. Elle avait gagné énormément, et pourtant…

Lorsqu’ils arrivèrent dans la cachette où se trouvaient Belladone et Arius, la jeune femme vérifia qu’ils n’avaient pas de micros sur eux, et les dépouilla de leur matériel. Elle fronça les sourcils, elle avait développé une partie de la paranoïa de l’homme qui s’était brisé, et maintenant elle devrait vivre avec ce cadeau qu’il lui avait fait.

- Où est-ce qu’on va ? Demanderait Arius, légèrement inquiet. Tu as réussi ?

Il s’était tourné vers Lidy, mais le visage de celle-ci s’était fermé à l’image de celui du directeur. Elle savait, elle pensait en tout cas, qu’elle avait été entendue lorsqu’elle avait parlé. Elle se demandait si elle aurait dû agir autrement pour préserver son secret… Un secret si bien gardé jusqu’alors, une arme précieuse, peut-être trop précieuse. Elle ne pouvait pas le laisser entre les mains de n’importe qui, ainsi continua-t-elle de jouer la comédie avec son subordonné.

- Je n’ai pas échoué, pour l’instant…

Elle soupirerait, et vérifierait dans le sous-marin qu’aucun mouchard n’avait été posé. Elle ferait vérifier la même chose à Belladone, et la ferait patrouiller régulièrement. Ils ne pouvaient pas être surveillés ici, n’est-ce pas ? Cette sensation de sécurité ne s’installa pourtant jamais, comme si elle avait quitté la Olsen, y compris en présence de Belladone. Elle était en train de créer de nouvelles arborescences dans son esprit, piochant toutes les informations qu'elle pouvait sur ce Dario dont elle avait entendu parler.