Yoann Arthus Baltran
Le journaliste avait quitté depuis peu les bureaux de la Gazette du Sourcier où il en avait profité pour changer d'habits et prendre une douche. Il avait fini de parler des choses importantes : l’argent, l’argent et encore l’argent. S’il n’en avait aucune notion, Yoann était pourtant un homme immensément riche. Il était issu d’une famille de nobles, à l’origine. Son rôle d’enquêteur était venu dans la foulée un peu plus tard, en réalité. Les Baltran n’étaient pas très réputés, ils avaient un petit bout de terrain quelque part sur South Blue, même si leur fils aîné, Vigor, avait déjà hérité du domaine. Lui n’était que le cinquième dans l’ordre de la lignée, et lorsqu’on avait remarqué qu’il était bon au moins à quelque chose, on l’avait poussé hors du domaine. En échange de son silence, il avait amassé l’argent de sa famille et l’avait conservé dans plusieurs coffres dispersés à travers le monde.

Quelques années après son départ, il avait commencé à travailler en tant qu’enquêteur pour un royaume. La majorité des membres de la garde avaient été tué dans un massacre assez improbable. Arthur était content d’être encore en vie pour témoigner de cela : à vrai dire, la beauté de l’homme qu’il avait aperçu ce jour-là le hantait tellement qu’il avait décidé de le poursuivre jusqu’au bout du monde. Il voulait le photographier, obtenir le plus de clichés possibles de lui dans tous ses états… Au point qu’il en devenait totalement fou.

Le Compost avait accueilli une sorte de pervers en puissance, si on avait demandé l’avis de ses frères et sœurs. Malheureusement, son appareil s’était brisé lors de leur dernière altercation… Où est-ce que c’était déjà ? Il ne s’en souvenait déjà plus. Un soupir las l’enjoignit à regarder la camelote présente sur le marché. Il avait apporté de l’argent, est-ce que ce serait assez… Une bourse remplie, certes, mais aussi et surtout un document officiel qui permettait de reconnaître un milliard de berrys dans une banque assez huppée sur l’île. Quand on ne pouvait pas se balader avec un fric aussi monstrueux, on devait faire appel à ce type de services. Cela et l’art de la table, c’était bien là les seules choses qu’il croyait avoir retenues de son origine nobiliaire.

- Géante, dirait-il en observant la jeune femme. Eh ! Est-ce que je peux te prendre en pho… Ah, j’ai pas mon appareil.

Il regarderait autour de lui. Il aurait bien voulu prendre cet être d’exception en photo. Elle lui disait quelque chose, d’ailleurs… Peut-être que c’était son imagination. Il se gratta la tête, et fit une moue un peu peinée.

- Est-ce que ça t’embêterait de venir avec moi ? J’aimerais te prendre en photo, mais je n’ai plus d’appareil. Oh, bien sûr, ne t’en fais pas : je ne suis pas un pervers ! Le seul ange que je photographie par plaisir c’est mon petit homme blond ! Mais toi… Je pense que si je peux faire une photo de toi qui fera sourire les gens.

Yoann Arthus Baltran
Le photographe regardait avec un œil intéressé la grande femme qui lui répondit le plus simplement du monde. Il sourit avec un air distrait en se tournant pour commencer à marcher, avant d’entendre parler d’un fruit. Un… Fruit ? Genre, un fruit super rare ? Oh, il voulait y goûter. Ses papilles ne rêvaient que de découvrir de nouvelles saveurs : ce dernier mois, la cuisine de Mama Ite avait été un peu redondante entre le poisson, le poisson et encore le poisson ! Il voyait tourner des soupes dans sa tête à longueur de journée, des bouillons et un manque de vitamines. Ah, est-ce qu’il n’avait pas attrapé le scorbut pendant cette traversée de l’enfer ?! L’épave les avait transportés au gré des flots et de l’imagination débordante du soi-disant navigateur en direction de « Water Seven ». Il avait rapidement identifié qu’il s’agissait de Saint-Poplar : il connaissait l’île et y avait déjà séjourné par le passé après tout.

- Ce… ce fruit a l’air délicieux, dirait-il en bavant légèrement.

« Légèrement ». En réalité, s’il avait pris une douche, il n’avait pas encore goûté à ce qu’il aimait appeler « les denrées des gens civilisés ». La dernière chose qui l’avait fait saliver autant, c’était Erwin lorsqu’il avait pris une photo de lui en train de massacrer ce groupe de pillard quelques jours après avoir rencontré Nils Gratz… En toute inconscience du grand-père, bien sûr. Le vieillard avait remarqué que ce gamin était de l’ordre de l’exceptionnel, même s’il ne savait pas encore à quel point. Quand il aurait recouvré la mémoire, il pourrait devenir un membre éminent de la marine… Ou quitter celle-ci en tuant un Amiral, peut-être. Qui savait quel chemin était tracé pour lui !

- Est-ce que je peux vous l’acheter ? Je sais que c’est un peu soudain, et que vous devez l’amener à votre ami… Mais j’aimerais vraiment l’acheter ! Je m’arrangerai avec votre ami, pitié !

Brusquement, il se mit à genoux devant l’ange, déclenchant des murmures dans la rue. « Est-ce qu’elle est en train de le menacer ? », « S’agit-il d’une dispute de gang ? », « Je crois avoir déjà vu cette personne quelque part ! ». Parlaient-ils d’Ishtar ou de Yoann ? Les deux avaient leur petite réputation, même si celle de la grande femme était mondiale et celle du pervers photographe était locale. L’enquêteur ne semblait en aucun cas gêné par la scène, et il implorait à son interlocutrice de lui répondre. Combien pouvait-il mettre dans ce fruit ? Ah, il aurait donné tout ce qu’il avait sur lui ! Au pire, l’argent, c’était fait pour être dépensé. Ses yeux brilleraient de mille feux : une détermination sans pareille pour effacer le goût malheureux de la cuisine de Mama.

- Je vous en supplie ! Enchaînerait-il en criant presque, comme pour montrer sa détermination.

Yoann Arthus Baltran

- M… merci ! Pleurerait-il, laissant couler toutes les larmes de son corps.

Il prendrait le fruit, le tenant comme le bien le plus précieux qu’il pourrait posséder, le trésor de toute une génération. Le soupesant dans sa main, il en comprit la légèreté et l’arôme semblait promettre un passage dans un pays enchanté. Qu’est-ce qu’il était heureux à présent ! Son regard brillait toujours tandis qu’il rangeait le fruit pour sortir de quoi rémunérer la géante. Combien devait-il mettre pour ce bien précieux qui lui ferait oublier la nourriture que Mama Ité lui donnait ? Il pouvait bien saliver autant qu’il voulait, il fallait récompenser au juste fruit ce geste. Il tendit alors une bourse qui contenait un petit million de Berrys, ainsi qu’un contrat qui donnait accès à l’un de ses comptes grâce à une signature scellée.

- Je ne puis vous remercier assez pour ce geste divin ! Voici pour le fruit, et pour la photo que nous allons prendre si cela tient toujours, pleurerait-il.

Il était si heureux ! Un sentiment d’accomplissement le berçait, tandis que ses yeux divaguaient. Son sourire amusé était pourtant bien ancré, et il posa une main sur sa joue pour marquer son embarras. Il était sûr qu’il n’y avait pas assez, mais il n’avait plus que de quoi acheter son appareil photo sur lui ! Dans la bourse trouvait un petit million de berrys, et il y avait à peine 999.000.000 de Berrys sur le compte. Serait-ce suffisant pour le fruit ? En tout cas, la somme était marquée sur le contrat, mais le photographe ne laisserait pas le temps à la géante de le regarder.

- Allons vers le photographe, vite, avant que mes amis ne m’oublient sur l’île !

Il ne fallait pas oublier pour quoi il était venu. Il se dirigea alors, emportant dans son sillon si elle le voulait bien d’un simple geste, vers le cabinet qui lui vendit l’appareil dont il avait besoin. Il le regarda sous toutes les coutures avant de dire :

- Qu’est-ce que vous aimeriez que je mette en valeur sur la photo ? Vos yeux ? Vos ailles ? Je vous laisse choisir. Le simple fait que vous soyez la première personne que je phographie avec cet appareil est un véritable bonheur !

Il souriait et était sincère. Ce n’était pas parce qu’Ishtar était une curiosité : c’était parce qu’elle était belle dans le sens le plus atypique du terme. C’était une guerrière. Il lui proposerait donc de prendre trois photos assez simples, et les ferait rapidement développer en lui proposant de les ramener avec elles, lui gardant simplement les doubles.

Yoann Arthus Baltran
En prenant quelques photos qui se voulaient très artistiques, il put mettre en valeur les ailes sublimes de la grande femme blonde qui se trouvait en face de lui. Son ambition était bien de faire sourire les gens avec ces images. Il était même certain qu’Erwin apprécierait de voir ces moments capturés sans réellement les comprendre pour l’instant. Il avait lui-même un certain sens artistique, si on le demandait à Yoann. A vrai dire, le blondinet ne possédait aucune capacité à créer de l’abstrait dans ses pensées, même si il avait l’air de ressentir plus de choses qu’auparavant… Peut-être même des émotions qu’il ne connaissait pas en étant « La Lame », cette légende urbaine qui résonnait parfois aux oreilles des personnes attentives. Qui s’intéressait encore à l’histoire cependant ?

Laissant son esprit vagabonder, il donna donc les photos à Ishtar, sans même avoir échangé son prénom avec cette dernière. Ses yeux étaient émerveillés. Il passa une main dans ses cheveux châtains, observant avec un sourire en coin les souvenirs capturés du jour.

- Merci, je suis sûr qu’Erwin sera ravi !

« Erwin ». Ce nom pouvait être familier à la blonde, elle avait sûrement déjà rencontré des personnes se nommant comme ça. Commençant à penser à ce petit ange, il ne fut que surpris lorsqu’il entendit son escargophone sonner.

- Oh… Je dois vous laisser, je vous remercie encore pour aujourd’hui, mademoiselle. Puisse la santé et le bonheur courir à vos côtés.

« Cela faisait longtemps. » se dit-il tandis qu’il se souvenait de cette phrase que son idiot de paternel disait souvent. Il se retourna et s’éloigna, décrochant l’appareil avec un air enjoué. S’en suivit alors une conversation surréaliste, quand on le connaissait, entre le photographe et la personne à l’autre bout de l’escargophone. Une cargaison ? Hein ? Comment ça ? Ah, d’accord, il devait se rendre à… la Villa « La Belle Bleue » ? Intéressant comme nom. Il y avait apparemment quelque chose qui l’attendait là-bas.

Se dirigeant vers l’endroit en question, il observa l’immense villa qui s’offrait une vue sur la mer. Un grand portail ainsi qu’une centaine de mètres séparait le début de la propriété de l’entrée de la maison. Le chemin était parsemé de cailloux, et quelques chiens semblaient patrouiller. Comment allait-il faire pour entrer ? Hum, qu’importe, on lui avait dit d’attendre. Il attendrait !

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